Vous êtes ici : Accueil / Le patrimoine / Les fiefs, fermes et lieux-dits / Le fief Robillard >>
Modifiée le 10 janvier 2017
Le fief Robillard
« De Robillard » est aujourd’hui le nom d’une rue du Châtelet-en-Brie et de la salle des fêtes se situant derrière l’église.
Mais en quoi consistait par le passé « de Robillard » et quelle est l’origine de ce nom ?
De Robillard, orthographié aussi Robilliard, était un fief, une exploitation rurale située à la sortie nord-est du Châtelet, sur le chemin conduisant à Sainte-Gemme, Saveteux et Blandy.
Il consistait à l’origine en un manoir, avec deux tourelles, entouré de fossés et d’un pont-levis, dont dépendaient 70 arpents de terres et de prés (environ 35 à 40 hectares).
Un document datant du XVIIe siècle le qualifiait de « château ».
Il présentait quelque analogie avec le château des Dames édifié comme lui sur un plan rectangulaire avec des murs d’enceinte.
Il paraît dater de la même époque, début du XIVe siècle, et devoir son origine aux mêmes fonctions de protection du village que le château des Dames au sud-ouest.
Le patronyme « de Robillard » est cité dans la nécrologie de l’abbaye du Jard à Voisenon, on y trouve la mention suivante : « Kal. XI Aprilis, anniversarium Jehannis, dici Robilliard,
fratri ad succurendum ».
En 1269, un certain Renaud de Robillard, prêtre, prévôt de la collégiale de Saint Martin de Champeaux, fut exécuteur testamentaire de Pierre du Châtelet, bourgeois de Melun. Par conséquent, nous pouvons affirmer que ce nom remonte au moins au XIIe siècle.
L’un des premiers propriétaires du fief de Robillard fut Raoul de Mortry, puis Marie de l’Isle, sa veuve. Nous le verrons, comme ce fut le cas en de multiples occasions dans l’histoire du Châtelet, l’histoire locale a souvent rejoint l’histoire nationale sous l’Ancien Régime comme après la Révolution. En effet, à partir de 1573, le fief de Robillard fut la possession des seigneurs successifs de Blandy jusqu’à la Révolution.
|
|
Le 29 juillet 1573, la marquise de Rothelin, dame de Blandy, en fit l’acquisition pour la somme de 2400 livres tournois. Elle l’incorpora à sa seigneurie de Blandy qu’elle avait reçu en douaire pour elle et ses enfants, à la mort de son mari, François de Rothelin, en 1548.
Mais le fief de Robillard dépendait aussi de la seigneurie de Vaux-le-Pénil, comme l’atteste le document ci-contre.
En effet, la marquise de Rothelin, connue aussi sous le nom de Jacqueline de Rohan, rendit foi et hommage au marquis de Rostaing, un an après l’acquisition de Robillard.
C’est ainsi que, « le 4 juin 1574, haulte et puissante princesse, Madame Jacqueline de Rohan, marquise de Rothelin, princesse de Châtillon, dame de Parthenay, Blandy, Noyelle sur la mer, Saincte Croix et Robillard, rendit foi et hommage, pour raison de son fief de Robillard »
En 1689, Marie d’Orléans Longueville, duchesse de Nemours qui comme nous le verrons plus loin, hérita de ce fief renouvela cet hommage à Louis-Henri marquis de Rostaing, de la terre et seigneurie de Vaux-le-Pénil, mouvance du roi, à cause de son comté de Melun, et, entre autres terres, de celle de Robillard.
Mais pour quelle raison fallait-il rendre foi et hommage quand on faisait l’acquisition d’un fief ? Pour cela, il suffit de retrouver l’origine du mot « fief » ; on disait aussi « Fié ». Il s’agit d’un terme gaulois qui signifiait, assurance et confiance, attachement et dévouement, confiance que le seigneur, qui donnait l’héritage, avait en celui auquel il le donnait et auquel il se fiait.
Dès 992, sous le règne d’Hugues Capet, les fiefs devinrent patrimoniaux et héréditaires.
Il existait une hiérarchie assez complexe dans les différents types de fiefs. Notons simplement en ce qui nous concerne, que le fief de dignité est celui du seigneur dominant à qui l’on doit foi et hommage, et le fief simple qui appartient au seigneur servant ou vassal.
Voici donc, la liste exhaustive des seigneurs de Blandy, propriétaires du fief de Robillard jusqu’à la Révolution.
En 1565, Françoise d’Orléans, fille cadette de Jacqueline de Rohan et de François de Rothelin, deuxième femme de Louis 1er de Bourbon, prince de Condé hérita du château de Blandy et du fief de Robillard.
Le prince de Condé, défenseur des calvinistes et adversaire des Guises jugés trop influents auprès du roi François II, organisa contre ces derniers, la célèbre conjuration d’Amboise (1560). Mais cette initiative échoua et la répression des Guises fut sanglante. Après le massacre de Wassy en 1562 où 200 protestants trouvèrent la mort sous les coups portés une nouvelle fois par le duc de Guise, le prince de Condé déclencha les guerres de Religion qui allaient plus de 30 ans. C’est au cours d’une de ces batailles opposant catholiques et protestants que Condé trouva la mort à Jarnac en 1569.
Quant à son épouse, Françoise d’Orléans, elle mourut à Paris en 1601, laissant tous ses biens à son troisième fils, Charles de Bourbon. Ce dernier, comte de Soissons et de Dreux, épousa, le 27 décembre 1601, Anne comtesse de Montafié. Bien que prince catholique, Charles de Bourbon soutint, en fonction de ses intérêts du moment, son cousin Henri de Navarre, le futur Henri IV, contre Henri III et la Sainte-Ligue. Anne et Charles eurent 5 enfants, dont Louise et Marie de Bourbon. Charles de Bourbon mourut le 1er novembre 1612 à Blandy. Anne, son épouse, hérita de Blandy et du fief de Robillard.
Sa fille Louise, mariée à Henri II de Longueville, mourut avant sa mère en 1637. C’est la raison pour laquelle, à la mort d’Anne de Montafié en 1644, la seigneurie de Blandy fut donnée en indivis à sa fille Marie et à sa petite fille, Marie (future duchesse de Nemours), fille de Louise et d’Henri II de Longueville.
De 1644 à 1688 Marie d’Orléans et Marie d’Orléans-Longueville, duchesse de Nemours, furent les héritières de la comtesse de Montafié.
A la mort, de sa tante, Marie d’Orléans Longueville, duchesse de Nemours devint seule propriétaire de Blandy et de Robillard de 1688 à 1707.
C’est en 1707 que la seigneurie de Blandy changea de propriétaire. Claude-Louis Hector, duc de Villars, Pair et maréchal de France, après avoir acheté en 1705, la seigneurie de Vaux le Vicomte aux héritiers de Fouquet, fit l’acquisition de la seigneurie de Blandy, de celle de Robillard et d’une des trois fermes de Saveteux, afin d’augmenter ses possessions. Des livres de plans et de cartes datant de 1740, attestent de ce que représentait la Duché-Pairie de Villars. En effet, de Vaux-le-Pénil au Châtelet-en-Brie en passant par Vaux-le-Vicomte, Blandy, Sivry, Courtry ou Fontaine-le-Port, ce sont autant de seigneuries qui appartenaient à cette illustre famille.
C’est en1734, qu’Honoré-Armand, duc de Villars et prince de Martigues, fils de Claude Louis Hector de Villars hérite de ces biens.
|
En 1740, le fief se composait d’une ferme, de prés et de terres plantées de luzerne ou de chanvre.
La composition des bâtiments nous donne quelques indications sur le mode vie des occupants. Après l’entrée à droite on remarque, une étable, un fournil, une laiterie, une écurie, le logement du fermier communicant avec une chambre, puis une grange, une bergerie et une étable. Les « 2 tois » qui jouxtent l’étable abritent une porcherie. On remarquera un peu à l’écart, un grand « poullailler ». La vie devait être grouillante dans cette grande cour de près d’un arpent de superficie.
On peut noter aussi, à l’extérieur de la cour et des fossés, l’existence du pressoir du Châtelet. Appartenait-il au fief ? On ne peut l’affirmer car on ne le retrouve sur aucun plan à cet emplacement.
Mais revenons sur les cultures pratiquées au XVIIIe siècle et plus particulièrement sur celle du chanvre qui tenait une place toute singulière.
Les cultures au XVIIIe siècle étaient diverses. Les céréales avaient fait leur apparition, mais on peut noter aussi la culture de la luzerne et du chanvre.
La luzerne, plante fourragère, servait à nourrir le bétail. Le chanvre, quant à lui était utilisé pour fabriquer de la toile. En effet, parmi les terres inventoriées en 1740 appartenant au fief on notera une chenevière de 70 perches. Des textes des XVIIème et XVIIIème siècles nous indiquent que chaque ferme possédait sa chenevière et une mare souvent destinée au rouissage du chanvre. La culture du chanvre nécessitait une terre de très bonne qualité et demandait une bonne fumure. Cette parcelle jouxtait en général les bâtiments et bénéficiait d’une attention toute particulière, surtout lorsque les graines arrivaient à maturité. La surveillance y était permanente pour éviter les invasions d’oiseaux. Les enfants pouvaient être mis à contribution pour « veiller aux grains ». Cette terre portait le nom d’ouche ou houche.
Pourquoi y donnait-on une telle importance ? A quoi servait ce chanvre ? Selon les régions, le chanvre avait des usages multiples. Les paysans portaient quotidiennement des vêtements en toile de chanvre dans de nombreuses régions. Mais localement cette toile pouvait servir à la fabrication de voiles ou de cordes comme en Bretagne. Le chanvre, filé à la quenouille, était de deux qualités selon que l’on utilise le pied mâle ou femelle. Les pieds mâles fournissaient les fibres de meilleure qualité et servaient à tisser la « toile d’étoupe », contrairement aux pieds femelles qui produisaient la « toile de pied », de qualité inférieure.
La fibre tirée de l’écorce subissait différents traitements avant de pouvoir être filée à la quenouille. Le rouissage était l’une des premières opérations et consistait en un trempage des tiges, dans un ruisseau ou dans les fossées remplis d’eau, afin de détacher plus facilement l’écorce du tuyau central de la plante, appelé chenevotte. Teillage ou tillage, pilage des tiges, écangage, peignage, participaient des autres traitements des fibres, avant de procéder au filage et au tissage. Le filage était une des occupations importantes de la femme qui avait toujours une quenouille et des fuseaux à portée de main. D’ailleurs, la quenouille tenait une place importante dans les rituels de mariage. En effet, dans les jours qui précédaient le mariage, au moment où s’effectuait le transport des biens de la jeune fille dans sa nouvelle maison, avec son linge, ses meubles, ses objets ménagers… on trouvait aussi sa quenouille et sa filasse qui symbolisaient les qualités de travail et de courage que l’on attendait d’elle.
Après cette longue parenthèse, reprenons le fil des différents propritaires du fief de Robillard.
Notons encore, en 1764, un nouveau changement de main, César Gabriel de Choiseul, duc de Praslin, ministre des affaires étrangères de Louis XVI acheta la seigneurie au prince de Martigues.
|
|
En 1785 enfin, Charles Rognard Laure Félix, duc de Choiseul-Praslin, député de la noblesse d’Anjou à l’assemblée constituante de 1789, fils de César-Gabriel fut le dernier seigneur propriétaire du fief de Robillard. Toutefois, ne nous méprenons pas, car si ce fief a appartenu à tous ces illustres personnages qui ont contribué à faire l’Histoire de France, bien peu sont ceux qui ont dû apparaître en ce lieu qui ne fut toujours qu’une ferme fortifiée louée à un tiers.
Pour la petite histoire il est bon de signaler qu’il existait, non loin du gué de Robillard, un couvent, détruit depuis longtemps, mais dont quelques substructures et des pilotis sont parvenus jusqu’au début du siècle dernier. Dans le pouillé de l’ancien diocèse de Sens en effet, se trouve mentionnée la chapelle du gué de Robillard.
A partir de la Révolution, le domaine et les terres de Robillard furent morcelées. On remarque sur le plan cadastral de 1812, la construction de nouveaux bâtiments dans la cour de la ferme : granges, etc…et le partage de la dite cour entre plusieurs propriétaires. Des droits de passage entre les différentes propriétés ont été aménagés.
En 1845, on note une répartition de la ferme et de la cour en 11 parcelles (cadastre 1845 section A 3e feuille).
|
|
A titre d’exemple notons qu’en 1890, monsieur Couraud, agent voyer au Châtelet, fit l’acquisition d’une grange, d’une maison et de 2 cours, (parcelle 407). Il revendit ce bien en 1894.
Jusqu’au XXe siècle, il resta de cette propriété, les fossés d’une largeur de 10 à 12 mètres, avec les vestiges d’une tour à l’un des angles.
A noter aussi, que depuis les années 1870, monsieur Louis Garriot fut propriétaire d’une grande partie des bâtiments et de 30 hectares de terres. Il vendit longtemps de la viande de cheval les jours de marché au Châtelet et à Nangis notamment. Mais il était aussi équarisseur et avait installé depuis longtemps une « tuerie » dans les bâtiments de l’ancien fief et, à 1500 m de là, une usine pour fabriquer des engrais. Ces abattoirs causèrent de multiples nuisances aux habitants du village. Malgré des plaintes répétées auprès du préfet, nos compatriotes ne purent que très ponctuellement faire valoir leurs requêtes.
En février 1874, monsieur le maire écrivait au préfet de Seine-et-Marne en ces termes « …le sieur Gariot transporte fréquemment et laisse séjourner dans les granges, cour et jardin dépendant de sa maison d’habitation des lambeaux et membres des bestiaux par lui abattus ou manipulés à l’abattoir…D’autres fois il laisse stationner dans la rue , des voitures contenant des viandes et même des chevaux morts…Les voisins de la maison…se plaignent des odeurs malsaines qui s’exhalent, notamment dans les fortes chaleurs, de ces débris d’animaux… ».
Les recommandations du préfet ayant été sans effet, monsieur Lepême, un de ses voisins relança les autorités départementales pour se plaindre à nouveau du problème de salubrité publique, par un courrier du 11 octobre 1874.
Ainsi les désagréments se perpétuèrent durant des décennies car, en 1905 par exemple, monsieur Garriot écrivit au préfet pour continuer à exploiter cet abattoir. Il reçut même le soutien du maire de l’époque qui trouvait les conditions d’hygiène tout à fait acceptables.
La famille Liétaert exploita les terres de monsieur Garriot à partir de 1923. Ils y élevèrent des vaches dont le lait fut très apprécié des villageois. Ils vendirent des produits de la ferme et fabriquèrent même un savoureux fromage, un « petit cœur de crème », dont de nombreuses personnes parlent encore avec une certaine nostalgie.
Rémi Liétaert mourut en 1968. Son fils Daniel et sa mère continuèrent l’exploitation jusqu’en 1973. Ils furent les derniers exploitants de Robillard. Certains de nos concitoyens se souviennent avoir vécu des moments très forts autour de cette ferme sur le gué encore existant.
Dans la première moitié du XXe siècle en effet, Guy nous contait un jour, qu’enfant il allait pêcher là des grenouilles avec ses grands-parents à la belle saison. L’hiver il allait avec des copains faire du patinage sur l’eau gelée des fossés. Il arrivait même parfois qu’à la nuit tombée, notre jeunesse d’alors, s’offrît le luxe de patiner aux chandelles. Cette activité pouvant être, ce que la descente aux flambeaux est au ski. Pour l’anecdote, on nous dit aussi, que dans les années 30, les jeunes habitant dans le quartier du fief, issus d’un milieu populaire, ne fréquentaient que très peu ceux de la route nationale, de milieux plus aisés.
Aujourd’hui, des maisons individuelles ont été construites, jouxtant d’anciens bâtiments réhabilités. Des restes du grand fossé entourant les bâtiments de la ferme, ont résisté au temps et sont encore visibles.
Le fief de Robillard fut, les souvenirs restent. Ainsi va la vie.