Vous êtes ici : Accueil / L’histoire du village / Hommage aux soldats / Guerre de 1870 >>
Modifiée le 9 janvier 2017
Guerre de 1870
Un peu d’histoire :
Les raisons qui motivent une déclaration de guerre sont multiples, même si au bout du compte il y a toujours un élément déclenchant, un prétexte qui va amener la guerre.
Napoléon III s’est engagé dans différents conflits depuis 1853. Il a remporté quelques succès mais il a perdu aussi de sa popularité auprès de la population.
Il subit l’influence de l’impératrice Eugénie et de quelques ministres et généraux partisans de la guerre contre la Prusse, en espérant qu’il reviendra victorieux.
La Prusse quant à elle, depuis de longues années, développe son armée et se prépare à la guerre. Ses victoires sur le Danemark et sur l’Autriche lui donné confiance. La Prusse dirigée par le chancelier Bismarck désire en découdre avec son ennemi de longue date : La France.
Un prétexte va être à l’origine de ce conflit.
En effet, l’Espagne se trouvant sans souverain, le trône est proposé au cousin du roi de Prusse.
La France est inquiète et obtient l’abandon de ce projet.
Mais non content de ce succès, le Gouvernement veut obtenir du roi de Prusse une déclaration qu’à l’avenir jamais un prince prussien ne règnera en Espagne. Le roi refuse. Bismarck rédige le télégramme annonçant ce refus. Il lui donne un caractère offensant pour la France !
La guerre éclate le 19 juillet 1870, déclarée par Napoléon III.
Les armées françaises, mal préparées, peu nombreuses, mal commandées et mal équipées, sont rapidement vaincues.
L’armée prussienne, beaucoup plus nombreuse, envahit l’Alsace et la Lorraine. La grande armée française est encerclée à Sedan et l’Empereur est fait prisonnier avec tous ses soldats à cette occasion le 2 septembre 1870.
Les prussiens vont poursuivre leur avancée et vont faire le siège de Paris.
Mais cette année que l’on appela « l’année terrible » avant 1914, vit des évènements dont le souvenir est resté longtemps vivace en France, et plus particulièrement dans les mémoires des anciens de notre village qui nous ont laissé des témoignages.
Il en est un qui fit le récit d’un évènement très grave qui se produisit dans Le Châtelet-en-Brie, le 29 septembre 1870. Il s’agit du procureur de la République de Melun, monsieur Voisin, qui en a fait le récit dans un journal de Melun.
Cela a peut-être été la cause de l’incarcération de notre rapporteur, dans les geôles prussiennes durant un an.
Nous allons lui laisser la parole. Il nous fait vivre, comme si nous y étions, l’épreuve qu’ont vécue nombre de nos concitoyens :
« Le jeudi 29 septembre 1870, vers midi, le bruit de l’arrivée d’un détachement de cavalerie prussienne, fort de vingt-cinq hommes environ, se répandit au Châtelet : le maire était à ce moment à Nemours, conférant avec le préfet du département. L’émotion devint immédiatement très vive et un certain nombre de gardes nationaux résolurent, pour organiser la défense du pays, de se répandre en francs-tireurs dans les bois. Le tocsin sonne… On crie aux armes ! Les cartouches et les fusils qu’on avait mis en lieu sûr sont bien vite retrouvés et quarante hommes environ se précipitent dans les bois de la Haie, situés entre Le Châtelet et Sivry.
Le détachement ennemi venait de Melun ; à son arrivée près du bois, il reçoit une décharge de mousqueterie, deux soldats tombent mortellement frappés, un troisième est blessé. Les cavaliers mettent pied à terre, pénètrent dans le taillis et tuent trois de nos concitoyens ; le reste des gardes nationaux prend alors la fuite vers les grands bois ou vers Le Châtelet.
Les pertes de l’ennemi ont été peu considérables ; il en aurait pu être autrement si l’expérience, la discipline et le sang-froid avaient, chez les nôtres, égalé le courage ; mais le tir s’était exécuté à une distance trop éloignée et certains fusils se trouvaient mal chargés ; des balles avaient été placées sur la poudre par le côté conique [et] sortant du canon par le côté creux, elles avaient offert une grande résistance à l’air et perdu presque toute leur portée.
Une défense victorieuse n’était d’abord pas possible ; les gardes nationaux se portant au-devant des Prussiens n’avaient écouté que la voix du patriotisme, mais ils s’étaient gravement trompés sur l’importance des forces de l’ennemi. La colonne prussienne se composait non de vingt-cinq hommes, mais de trois à quatre cents, et l’infériorité numérique de nos concitoyens n’était même pas compensée par une organisation sérieuse.
Le chef du détachement, après une minutieuse visite des bois environnants, se dirigea vers Le Châtelet qui allait devenir pendant quelques heures le théâtre du plus effroyable vandalisme.
Je ne parlerai ni des vitres brisées, ni des volets enfoncés, ni des nombreux actes de destruction matérielle commis à ce moment ; mais ce qui doit être dit et publié bien haut, ce sont les violences exercées contre un vieillard de 82 ans, le sieur Rose, qui brutalement arraché du seuil de sa porte par les soldats est allé tomber au milieu de la rue, s’est blessé à la tête et a été battu par la soldatesque ; ce sont ces coups de plat de sabre assénés sur les reins du sieur Selva, coups qui ont, non seulement meurtri son corps mais aussi ébranlé pendant quelques instants sa raison.
M. Chapelot père, capitaine de la garde nationale, fut immédiatement recherché par les soldats prussiens ; il avait, fort heureusement, pu se mettre à l’abri de leurs poursuites et échapper ainsi à la justice sommaire de ces barbares qui, dans leur rage, incendièrent alors la maison de Louis-Pierre Jacquemard. Mais le fils de M. Chapelot, jeune homme de 25 ans, clerc de notaire à Melun, fut saisi au moment où il venait porter secours au sieur Selva qui recevait des coups de sabre ; trente-sept habitants furent en même temps pris comme otages et le détachement pénétra dans le village.
Le curé, M. Pichelin, était malade, retenu au lit depuis huit jours par des rhumatismes ; il s’était levé, cependant, au bruit du piétinement des chevaux ; le commandant donna l’ordre d’escalader la grille d’entrée au moment où le pauvre prêtre se présentait et se livrait lui-même. « Vous avez fait sonner le tocsin, M. le Curé, vous serez fusillé ! » Telles furent les paroles qui l’accueillirent.
Un dernier acte de vandalisme restait à accomplir ; le mobilier de M. Chapelot père et ses effets personnels étaient réunis, mis en tas dans une chambre du rez-de-chaussée de sa maison, et une bourrée enflammée, placée près de la fenêtre, sous cet amas même, communiquerait rapidement l’incendie. Quand les progrès du feu eurent été assez considérables pour que la destruction du mobilier fût complète, la colonne ennemie se remit en marche, traînant après elle trente-neuf habitants, liés les uns aux autres et la corde au cou.
On fit halte dans un champ, en face des dernières maisons de la commune, du côté de Sivry, et les prisonniers durent à ce moment défiler un à un devant le front des troupes.
Le curé fut amené le premier.
– Vous, dit le commandant, fusillé ! Passez à droite.
Vint le tour de M. Chapelot fils.
– Vous, adjoint de la commune, fils du capitaine des francs-tireurs (c’était une double erreur), fusillé ! à droite aussi.
Seize personnes eurent le même sort. Quant aux autres habitants du Châtelet, ils étaient renvoyés immédiatement, avec injonction de rentrer dans la commune au plus vite.
Les troupes avaient le sabre nu ; un commandement se fit entendre, elles saisirent leurs carabines, les armèrent et couchèrent en joue ceux de nos compatriotes auxquels la liberté n’avait pas été rendue. Le moment était solennel, chacun comprit que sa dernière heure était venue. Malgré les liens qui gênaient leurs mouvements, les malheureux s’embrassèrent et plusieurs demandèrent l’absolution au prêtre. Pas un cri ne fut poussé, pas une plainte ne fut proférée ; et devant la force brutale qui allait faire son œuvre, était assurément donné le plus noble spectacle, celui d’hommes qui s’embrassaient en frères et portaient leurs derniers regards vers le Ciel.
Les armes étaient toujours braquées sur eux… Deux minutes s’écoulèrent, semblables à deux siècles. Un ordre se fit entendre, et… les carabines se relevèrent. Ce n’était qu’un odieux simulacre d’exécution !
On se remit en marche vers Sivry, le détachement y arriva vers 6 heures du soir, suivi par quelques voitures ; dans l’une d’elles se trouvaient les deux cadavres des Prussiens tués près du bois de la Haie. La nuit tombait et les prisonniers campèrent en plein champ, par un froid très vif. Vers 9 heures, un officier vint chercher le curé qui devait subir un interrogatoire immédiat ; il marchait avec rapidité, se refusant tout d’abord à tenir compte des douleurs rhumatismales de son prisonnier. Puis, changeant tout à coup d’allure, il lui offrit le bras et le conduisit ainsi dans une pièce où dînait l’état-major.
L’interrogatoire commença ; nous le reproduisons avec le plus d’exactitude possible :
– M. le Curé, votre conduite a été scandaleuse, vous avez fait sonner le tocsin.
– C’est une erreur.
– Vous seul pouvez avoir donné l’ordre de le faire sonner.
– Je n’ai pas donné l’ordre.
– Vous pouviez au moins, par votre influence, empêcher que le tocsin fût sonné.
– J’étais dans mon lit.
– Qui donc a fait cela ?
– Un homme qui a trouvé le moyen de pénétrer dans le clocher par une lucarne restée ouverte.
– Comment s’appelle-t-il ?
– Il est inutile de vous le faire connaître.
– Ce sont les francs-tireurs qui sont dans vos bois. Les misérables ! Les meurtriers !
Je ferai brûler votre commune.– Je ne sais qui a pu vous attaquer.
– Vous affirmez de nouveau que l’ordre de sonner le tocsin n’a pas été donné par
vous ?– Je l’affirme.
– Me donnez-vous votre parole d’honneur ?
– Je vous la donne.
– Eh bien, de mon côté, M. le Curé, je vous donne ma parole d’honneur que vous êtes libre… Mais, puisque vous voila rassuré sur votre sort, dites-moi maintenant la vérité tout entière sur ce qui s’est passé au Châtelet.
– J’ai dit la vérité, je n’ai rien à ajouter.
à ce moment, le prêtre brisé par les émotions et les fatigues de la journée tomba presque évanoui. Une soif ardente le dévorait ; il demanda un verre d’eau et but avidement, sans réflexion, le liquide qui lui était offert : c’était du vin de Champagne ! Il devint immédiatement plus souffrant et la conversation reprit entre le commandant et lui.
– Si vous avez faim, M. le Curé, nous allons vous faire dîner.
– Non, merci, cela me serait impossible ; un peu de pain seulement pour calmer les douleurs d’estomac produites par le vin que vous m’avez donné.
Un aumônier protestant, se penchant vers le chef de détachement, lui dit qu’un dîner maigre serait peut-être accepté par le prisonnier.
– C’est juste ; M. le Curé, nous allons vous faire servir un dîner maigre.
– Non, merci, un morceau de pain me suffit.
– Il est, dans tous les cas, une chose que vous m’accorderez bien, c’est de trinquer avec nous.
– Impossible, Monsieur.
– Il le faut.
Et se tournant vers ses officiers, le commandant s’écria : « Buvons à la paix ! » Toutes les voix répondirent : « A la paix ! » et le Curé éleva péniblement son verre pour répondre à ce toast que, comme prêtre et comme homme, il ne pouvait refuser.
Quelques secondes après, deux soldats le conduisirent au presbytère de Sivry et là, seulement, le rendirent à la liberté.
Pendant tout le temps qu’avaient duré l’interrogatoire et cette scène, curieuse à plus d’un titre, les autres prisonniers étaient restés au campement. La nuit s’écoulait, ces pauvres gens seraient morts de froid sans la pitié de quelques soldats polonais préposés à leur garde ; des rations de pain et de vin furent partagées avec eux, un bon feu de bivouac les ranima et ce qui les soutint aussi, ce furent les regards compatissants, l’attitude affectueuse des Polonais. L’un d’eux, montrant sa pièce de mariage et de pieuses médailles à nos compatriotes, disait : « Vous, bons Français ; moi catholique comme vous ! » A 6 heures du matin, le vendredi 30 septembre, l’ordre de départ était donné et le détachement prenait, à travers champs, la direction de Corbeil. Après douze heures de fatigues extrêmes, les prisonniers, toujours à pied, liés les uns aux autres et la corde au cou, arrivaient à la Cour de France, près de Juvisy.
De nouveaux supplices allaient commencer pour eux ; là, comme au Châtelet, sur l’ordre d’un officier, ils sont couchés en joue et le dernier moment semble si proche que des baisers d’adieu sont encore échangés ! Mais ce n’était qu’un second simulacre, une seconde torture morale ! Ils passèrent la nuit dans une maison abandonnée, couchés sur de la paille de blé, non battue ; leur repos fut troublé par un officier qui, passant à côté d’eux, disait à haute voix et avec une intention marquée : « Ce n’est pas ici que nous pouvons les pendre, le plafond est trop bas, cherchons ailleurs ».
Tout n’était pas dit et le drame allait prendre des couleurs plus sombres encore. Le détachement arriva à épinay-sur-Orge, dans la matinée du samedi 1er octobre, et les prisonniers durent attendre, dans des caves, l’instruction de leur procès. Commencée le jour même par le colonel du régiment, l’information était terminée le lendemain.
Je vous laisse à penser quels efforts furent faits pour arracher à ces malheureux les noms de ceux qui, dans le combat du Châtelet, avaient pris les armes contre les troupes prussiennes.
Ces efforts se seraient complètement brisés contre le mutisme de nos courageux concitoyens si l’un d’eux, enfant de 16 ans, vaincu par la crainte, terrorisé par la peur et tombant de faiblesse laissa percer une partie de la vérité. Ces révélations faites à un ennemi qui ne recule devant aucunes représailles pouvaient avoir, et eurent en effet, les conséquences les plus graves. Les interrogatoires étaient terminés et, dans la matinée du lundi 3 octobre, les prisonniers étaient rendus à la liberté. Mais il fallait auparavant châtier ceux qui avaient refusé de faire aucune déclaration compromettante : le châtiment, ce fut la «schlague».
MM. Chapelot, Ringuet, Simmoneau, Chapard, Goyard et un jeune Belge dont le nom m’est inconnu devaient être les victimes. Amenés dans une cour par une escorte armée, ils aperçurent tout à coup devant eux un banc de bois et un paquet de baguettes : c’étaient les instruments du supplice !
Les soldats bourreaux essayaient, avant de frapper, la flexibilité des baguettes, et un officier jugeait, aux cris de douleur des victimes, s’il devait interrompre ou continuer le supplice !
Le colonel du régiment des Hussards rouges de Blücher assistait avec impassibilité, de sa fenêtre, à l’exécution de ses ordres ; un simple soldat, témoin de ces infamies, versait des larmes et, regardant les victimes, portait, en signe de compassion, les mains sur son cœur ».
La justice prussienne était satisfaite. Brisés par les émotions et les mauvais traitements, les otages purent enfin revoir Le Châtelet où, jusqu’en mai 1871, ils virent les Prussiens occuper notre pays.
Quelques années après, la commune du Châtelet, ne voulant pas que le sacrifice de ses trois enfants tués au bois de la Haie fût perdu pour la postérité, fit élever dans le cimetière communal un modeste monument sur lequel fut gravée l’inscription suivante :
Les blessures faites par la Guerre de 1870 s’effacèrent peu à peu, l’énergie et le courage de nos concitoyens rendirent à notre bourg son aspect des jours heureux.