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Modifiée le 13 janvier 2017

Une histoire de poilu

Un soldat de la Grande Guerre raconte…

 Marcel Renard (1897-1990)

 

Marcel Renard au front (collection Jean-Claude Renard)

Marcel Renard au front
(collection Jean-Claude Renard)

Marcel Renard avait déjà fait l’objet d’un article dans le Vivre au Village, numéro 14, de décembre 1985, dans la rubrique « rencontre avec… ».

Aujourd’hui, nous profitons de la commémoration du centenaire de la guerre 1914-1918 pour remettre à l’honneur tous ces combattants, et plus particulièrement, cet homme disparu en 1990 à l’âge de 93 ans.

Marcel Renard était en 1987, le dernier poilu vivant encore dans le canton du Châtelet-en-Brie.

Il avait tenu un journal, et un carnet de guerre dans lesquels il retraçait presque quotidiennement son vécu de soldat.

C’est donc au regard de ces deux documents, qui sont parvenus jusqu’à nous grâce à la gentille collaboration de Jean-Claude Renard son petit-fils, que nous allons faire revivre le passé douloureux, mais pas toujours, d’un jeune homme de 19 ans qui a su garder la tête haute, malgré les avatars de la vie.

Né le 26 avril 1897 au Châtelet-en-Brie, Marcel Renard fut mobilisé, le 10 janvier 1916 au 32e régiment d’artillerie de campagne à Valence dans la Drôme. Cinq semaines plus tard, il revint à Fontainebleau avec le 210e régiment d’artillerie de campagne auquel il fut affecté.

Après 6 mois de classes, il travaille chez un maître sellier.

Le 31 janvier 1917, il fut déclaré apte pour aller au front et fut envoyé avec son régiment en Argonne. Il fit partie de la classe 17, celle « des bleuets ».

Pour la petite histoire, notons que c’est en mémoire de ces derniers mobilisés que, tous les ans depuis près de 100 ans, le 11 novembre, jour de célébration de l’armistice, l’on vend des bleuets.

Dans son carnet, Jour après jour et durant 2 ans, Marcel Renard nous raconte sa campagne et
« sa guerre ». Ses notes, sont succinctes, mais c’est le témoignage d’un soldat artilleur, téléphoniste de la Grande Guerre. C’est la raison pour laquelle il revêt une importance toute particulière. « Carnet de guerre » est un agenda où en quelques mots il retrace ses journées, son quotidien, depuis le mercredi 31 janvier 1917 jusqu’au 1er mars 1919.

 

Extraits du carnet de guerre de Marcel Renard Novembre 1918 (collection Jean-Claude Renard)

Extraits du carnet de guerre
de Marcel Renard – Novembre 1918
(collection Jean-Claude Renard)

Extraits du carnet de guerre de Marcel Renard Novembre 1918 (collection Jean-Claude Renard)

Extraits du carnet de guerre
de Marcel Renard – Novembre 1918
(collection Jean-Claude Renard)

Voir le carnet dans son intégralité >>

« Mes souvenirs de guerre » en revanche, développent les états d’âme et la vie au front, de Marcel et de ses camarades, du 31 janvier à la fin mars 1917. L’orthographe a été respectée.

 

Nous allons lui laisser la parole : extraits du journal de Marcel Renard :

 

« Mes souvenirs de guerre
Le 10 janvier 1916 j’étais appeler au 32e
Régiment artillerie de campagne a Valence (Drôme).
Heureux d’être dans cette arme et de faire le voyage. Cinq semaines plus tard : Mon régiment rentrait a Fontainebleau.
Après six mois de classe. Je rentrais chez le maître sellier Mr Mandement ou je
menais presque la vie de civil parmi de
vieux et de bons camarades (Métier, Butier, Breuillé, Chatton et mon inséparable René Cameau).
Le 10 janvier 1917 Cameau partait au front.
Toujours au quartier Lariboisière le 31
Janvier 1917 je suis appeler pour passer
la visite au quartier Bouflair. Bon
pour le front. Le soir je m’échappe
a Melun. Le lendemain 1er février
je suis habiller du bleu horizon de
neuf entièrement. Je m’échappe chez
mes parents, je quitte le Châtelet au
milieu des tristesses ».

 

Après avoir pris le train à Fontainebleau avec cinq de ses comparses, Marcel « tout gai » est heureux d’aller à la rencontre des « boches ».

Un arrêt à Troyes, puis direction Valmy (Marne) où il arrive à 3 heures du matin.

Après une halte de quelques heures, lui et ses camarades montent dans un tacot et s’installent parmi les caisses de ravitaillement.

Il y fait un froid glacial, au point « d’être obligés de devoir casser le pain à coups de marteau et le vin est devenu en glaçons ».

Ce voyage se termine à Braux-ste-Cohière, un petit village du département de la Marne, après
3 kilomètres de marche à pied, où ils sont reçus à « l’échelon », par le sous-lieutenant qui le commande.

Le 7 février 1917 il est affecté dans une vieille maison avec de vieux soldats dont certains sont originaires de Seine-et-Marne.

Mais vers « quatre heure du soir », il apprend qu’il « part aux positions à la 28e batterie »…Une heure plus tard il monte dans un fourgon avec deux compagnons de route.

 

« …
tout à l’intérieur du fourgon.Là des
Conducteurs ferment les rideaux et nous
disent. Ne fumez pas, ne criez pas
et ne vous faites pas voir. Les cheveaux
prennent le trot, puis le galop, et mar-
chent ventre à terre. A un moment
j’entend des bruits secs. Ce sont des
fusants que les boches nous envoient, puis
secouer terriblement je me décide a
passer la tête hors de la voiture.
Nous sommes dans un champ plein
de trous d’obus. La voiture s’arrête,
nous sommes arriver. Nous rentrons
dans une cagna sous terre, c’est la
cuisine. Nous y mangeons de la
bonne soupe puis je suis affecter
provisoirement a la 1ère pièce. Dans
un boyau sous terre couvert de tôle
métro et de terre je me couche
dans l’un des lits de treillage su-
perposer
… »

 

Et le lendemain, « …je sors sous la casemate de la pièce et au loin je vois tomber le premier obus boche…dans l’après-midi assez loin nous apercevons un combat d’avions très intéressant et bientôt l’avion boche descend en flammes… ».

Les 9 et 12 février il est affecté à la garde aux fusées, 2 factions de 2 heures, en pleine nuit.

Cela consiste à guetter l’envoi par des fantassins, de fusées rouges pour annoncer des attaques ennemies. Il s’agit pour les « gardes aux fusées » de le signaler à toute la batterie qui doit se mobiliser pour « déclancher un tir de barrage ».

Le dimanche est sensé être un jour de « repos » où chaque soldat vaque au nettoyage ou à ses écritures.

Le 13 février, à huit heures du soir, « …pour la première fois nous envoyons des obus sur les boches. Les quatres canons crachent, faisant jaillir à chaque fois une gerbe de feu de quatre mètres de large… »

Le mercredi 14 février il se porte volontaire pour porter de la correspondance à un sous-officier se trouvant en seconde ligne. C’est ainsi que : « … plein d’hardiesse et de méfiance me voilà parti. Je marche et traverse Minaucourt, pays en ruines et désert, environ 1 heure plus tard je traverse Massiges…tout à coup un obus boche venant de ma gauche passe par-dessus moi en sifflant et tombe à 25 mètres de là. Instinctivement je me couche à plat ventre dans la boue pour éviter les éclats… ».

Courageusement, il continue sa marche en avant, pour mener à bien la mission qui lui a été confiée.

 

« …
je marche dans de creux boyaux sur
des caliboutis, puis j’arrive enfin au
poste du sous-off. Ce vieux soldat
est drôlement loger. Son lit de treilla-
ge est suspendu dans l’escalier d’une
sappe de 7 mètres de profondeur.
C’est avec joie et remerciement qu’il
accueille ses lettres et son petit colis.
Mon retour à la batterie se passe
des meilleurs. Le lendemain les
boches bombardent 50 mètres devant nous
pendant 20 heures. Dans l’après-midi
du lendemain nous nous tenons prêt
à tirer nous remarquons un avion
boche qui tourne autour d’une de
nos saucisses et la brûle. L’observa-
teur descend en parachute qui ne
touche terre qu’en première lignes
Françaises. Toujours agressifs les bo-
ches nous envoient toujours des obus
mais nous tirons à notre tour dans
… »

 

Les conditions de vie sont difficiles en plein hiver, parfois dans la boue et le froid.
Marcel tombe malade et se rend à la consultation. Le major lui ordonne le repos durant quelques jours.
Début mars le sous-officier lui propose un changement de poste. Le lieutenant Monestier le désigne comme téléphoniste. Ce nouveau poste lui plaît.

 

Morceau de toile d'avion (Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux / Don Renard)

Morceau de toile d’avion
(Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux / Don Renard)

« …
Mercredi 7 mars. Nos pièces tirent sans arrêt. Le 8 également. Nous reprenons Maisons de Champagne. Le 9 nous cognons jour et nuit. Un avion boche est descendu pas loin de nous. Les
2 aviateurs sont tués et je rapporte un morceau de toile de l’avion… Samedi matin réveil à 5 heures. La ligne de l’observatoire est couper et nous allons la réparer.
Une saucisse française est brûlée sous nos yeux. Mais l’observateur fait une descente en parachute. Drôle de tableau qui peut rester dans la mémoire d’un homme
… »

Tout au long du mois de mars, Marcel Renard alterne les temps de garde au téléphone, et les moments de réparation de lignes téléphoniques qui sont régulièrement mises à mal par les bombardements des ennemis qui endommagent, voire détruisent en partie ces lignes.

Or, les communications entre les différents centres de commandement, l’observatoire, et les différentes batteries réparties sur les lignes de front et à l’arrière, sont indispensables pour une bonne coordination des opérations.

Ces réparations ne sont pas sans risques comme nous allons le voir avec Marcel et les déplacements dans les boyaux sont très compliqués, souvent sans aucun éclairage.

«… Bientôt nous entrons dans les boyaux de l’infanterie marchants sur des petites échelles à barreaux plats appelés calibottis pour ne pas mettre les pieds dans l’eau qui parfois nous mouille quand même. Le terrain argileux retenant l’humidité. Nous avons aussi grand mal à avancer ayant mis bien des affaires utiles dans un sac que nous portons chacun par un bout. Puis de temps en temps nous rencontrons un fantassin, il faut donc s’adosser à la paroie pour lui laisser libre passage… ».

 

« … je téléphone à la batterie au cabot de tir qui est un neveu d’Alphonse Daudet, il a un défaut de prononciation et il est difficile de le comprendre dans l’appareil. La ligne Paris se coupe souvent et je répare, mais il faut se méfier des balles de mitrailleuses qui sifflent dans un ravin ou passe ma ligne (ravin des Noyers). Nous devons être
relevés le 21 mais personnes ne nous arrive.
Les fantassins qui nous nourrissent se demandent également quand la relève se verra. Je vais au poste du Ct voir si nous avons des lettres, mais pas de lettre ni bougie. Quand la nuit arrive nous nous étendons sur nos lits après avoir été
chercher notre soupe (bonne) dans un bouteillons boche dont le couvercle forme casserole, puis nous tirons une vieille toile de tente qui fait notre porte.
Si les boches descendaient, il ne leur serait pas difficile de nous approcher. Sur ma ligne coupée je suis obligé le lendemain de faire deux plats-ventre dans la boue et les éclats d’obus volent par-dessus moi sans m’attraper, je me relève heureux d’avoir passé à travers… »

Il en fallait de l’obstination et un moral à toute épreuve pour continuer à tenir le choc. Le dépassement de soi était bien nécessaire, pour repousser les limites toujours plus loin. Malgré les risques majeurs encourus à chaque instant, Marcel apprécie cette fonction. Quand il fut question de le relever de cette tâche, il vécut cela comme un déshonneur, mais cela ne se produisit heureusement pas, car contre-ordre vint annuler une première décision.

En effet, « …Le lendemain il est décidé que je reste au poste du téléphone et j’en suis bien heureux ; aussi je suis envoyé au « Canon » poste d’infanterie porter un pli, je passe près du Promontoire, colline de la main de Massiges, puis à Virginie ou il ne reste guère que des murs de 50 cent de haut. J’ai eu fort à faire à passer à travers des éclats d’obus mais les plats-ventres faits à temps me laissent revenir entier ».

Marcel Renard 1987 (collection shcb)

Marcel Renard 1987
(collection shcb)

Marcel Renard fut cité à l’ordre du Régiment le 24 octobre 1918 dans les termes suivants :
« Artilleur consciencieux et dévoué ayant participé aux attaques du 9 et 18 avril et à celles du 9 septembre au 12 octobre 1918- A toujours donné entière satisfaction par sa conduite et son attitude au feu ».

Il fut décoré de la croix de guerre, sans cérémonie, en 1918.

Michel Dionnet, maire du Châtelet-en-Brie, lui remit 70 ans plus tard, la médaille militaire, le 11 novembre 1987, en guise de reconnaissance de ses mérites.

Marcel Renard est revenu au Châtelet sain et sauf, a fondé une famille avec Odette dont il parle dans ses « carnets », a participé activement à la vie du village en étant conseiller municipal durant 36 ans. En 1985, à l’âge de 88 ans, il travaillait encore dans sa boutique, comme il disait lui-même : « pour ma santé d’esprit et ajouter un peu à mes ressources ».

Il nous a quittés en 1990, après une vie bien remplie.

Nous ne l’oublierons pas, comme nous nous souviendrons longtemps encore de tous ses amis qui ont combattu et qui sont morts pour la France.

 

Entretien avec Monsieur Marcel Renard

 

Marcel Renard devant son magasin en 1983 (collection Jean-Claude Renard)

Marcel Renard devant son magasin en 1983
(collection Jean-Claude Renard)

 

 

 

Mes souvenirs de guerre

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