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Modifiée le 20 avril 2023

La Cour royale chasse le loup aux alentours du Châtelet-en-Brie (1725)

Dans l’article du VAV n°157, nous avons évoqué certains aspects des capitaineries en Ile-de-France et plus particulièrement celle de Fontainebleau qui fut la 1ère instituée en France en 1534.
Pour donner une suite à cet article, nous allons aujourd’hui mettre à l’honneur le père Jozon, doyen de la paroisse, qui raconta dans son bulletin trimestriel, « Autour du clocher » décembre 1953, avec des bases historiques sûres, mais avec quelques fioritures et un humour certain, « une chasse royale au loup dans le bois de Massouris ».
Laissons la parole au père Jozon racontant son histoire à son comparse, le père Valentin !
 » Père Valentin, avez-vous gardé votre sang froid pour la chasse aux loups à laquelle je vous ai convié… Mais rassurez-vous, aucune émotion à craindre, mais soyez attentif à mon récit.
Si le territoire du Châtelet était réputé pour être giboyeux, ses alentours l’étaient davantage. Ainsi l’Histoire, qui garde minutieusement les souvenirs, nous apprend que pendant le séjour de la Cour à Fontainebleau, on venait chasser dans les bois de Massouris, siège de la Gruerie Royale…


Le samedi 3 octobre 1609, le dauphin qui allait être le Roi Louis XIII fut conduit de Fontainebleau à Fontaine-le-Port, pour assister à une de ces chasses ; il passa la rivière (en bateau) afin de gagner le buisson de Massouris… Il avait 15 ans.
Rappelons que pendant le règne de Louis XIII, les Religieux de Barbeau avaient un coche d’eau portant chaque semaine les voyageurs et les denrées à Paris ; ils exploitaient aussi un bac sur la Seine, pour passer d’une rive à l’autre.
Cent ans après, ce bac était affermé (1716) à une veuve Bordier, à laquelle le roi faisait payer une gratification annuelle « attendu l’utilité de ce passage tant pour la Cour lorsqu’elle était à Fontainebleau que pour les officiers des chasses et l’apport des denrées à la ville ».
– C’est seulement en 1862 que le passage de la Seine au moyen d’un bac a cessé d’exister en face de Fontaine- le-Port ; on l’a remplacé par un pont en charpente…
– Mais on est mieux renseigné sur la chasse au loup en 1725 sur ce même territoire.
En effet, au matin du 30 septembre 1725, l- e cor retentissait bruyamment sur les hauteurs de Massouris…
– Plusieurs gardes des plaisirs du Roy s’efforçaient de sonner à en perdre haleine, pendant que les équipages de chasse de Sa Majesté, arrivant de Fontainebleau, traversaient la Seine au bac de Fontaine. À quelque distance, on voyait une barque plus ornée que les autres, dans laquelle se trouvaient Louis XV en personne et plusieurs seigneurs de sa maison.
– La Cour étant arrivée à Fontainebleau le 21 août précédent, et chaque jour avait été marqué par quelque grande chasse dont le sieur Mouret, porte-malle du Roy, nous a conservé le souvenir dans un opuscule devenu rarissime, imprimé chez les Collombat sous le titre : « Chasses du Roy et la quantité des lieues que le Roy a fait tant à cheval qu’en carrosse pendant l’année 1725 » (un exemplaire est consultable à la SHCB77) ; sangliers, cerfs et lièvres tombaient sous les coups des ardents chasseurs. L’équipage royal, ceux du duc de Grammont, du prince Conti, du prince de Dombes et de M.de Vendôme, étaient tous les jours en forêt, alternant les rendez-vous au chemin de Chailly, à l’Epine foireuse, à Courbuisson,… et en vingt autres lieux.
– Le jeune roi poussait si loin la passion de la chasse que, durant les quatre mois de son séjour d’automne à Fontainebleau, il donna à peine quelques jours de relâche à sa vénerie, juste le temps voulu durant lequel il se maria, les 4, 5 et 6 août [5 septembre NDLR] 1725. Quand la meute harassée demandait grâce, on chassait aux petits chiens du côté de Courbuisson, [forêt près de Samois NDLR] et le brillant équipage royal se contentait de forcer de malheureux lièvres qu’on était toujours sûrs de rencontrer dans cette partie de la forêt.
– Sur ces entrefaites, une émotionnante nouvelle parvint jusqu’au monarque. Bonne aubaine pour un chasseur en quête d’aventures et de gros gibier ! Plusieurs loups avaient été vus dans le buisson de Massouris ; ils avaient enlevé une douzaine de brebis du troupeau d’un fermier de Sivry et l’on parlait aussi d’un enfant qu’ils avaient dévoré ; mais cet on-dit méritait confirmation.
– Aussitôt des ordres étaient donnés, jour est pris pour le 30 septembre, les piqueurs « la Feuille » et « la Trace » sont dépêchés à Massouris pour « faire le bois » [parcourir le bois] en compagnie des gardes du Buisson [résident au Châtelet], et c’est alors qu’au matin du 30 septembre, sur la connaissance des animaux, la vénerie et la Cour s’étaient mises en route et traversaient la Seine au moment où les gardes s’escrimaient à sonner du cor de toute la force de leurs vigoureux poumons.
– À la vue des chasseurs qui mettaient pied à terre au village de Fontaine, les habitants, dispersés dans les vignes qu’ils vendangeaient, accoururent pour donner un libre cours à leur curiosité. « Le Roi ! Le Roi ! » disait-on. Et chacun de se montrer le jeune monarque, âgé de quinze ans à peine, maniant avec aisance un magnifique cheval gris- pommelé.

– La journée promettait d’être superbe. Le ciel était pur, légèrement estompé par des nuages blanchâtres qui moutonnaient à l’horizon. La campagne conservait toute sa verdeur ; à peine y voyait-on quelques arbres dont les feuilles changeant de teinte commençaient à rougir et à jaunir
L’Équipage s’avançait joyeux, plein d’ardeur et d’espoir. Chasser le loup, c’était une bonne fortune qui ne lui était arrivée de longtemps ; aussi fallait-il voir la joie de nos veneurs, et entendre le récit des prouesses qu’ils se promettaient.
« La Trace » vient de faire son rapport au roi. Six loups sont dans une enceinte voisine, les cors sonnent « le débuché » [lorsqu’un animal chassé prend la plaine NDLR], en moins d’un instant toute la meute s’élançant à travers bois se met à la poursuite des carnassiers. Les chiens poussent des aboiements formidables, en se précipitant sur les loups qui, un instant surpris, hésitent et prennent bientôt la décision de fuir en bande et d’une traite à la vue du danger dont ils sont menacés.


– La poursuite s’engage, ce n’est plus de l’ardeur, c’est de la rage, de la fureur, et l’on ne saurait dire quels sont les plus féroces ou des loups pourchassés ou des chiens qui sont à leurs trousses ; l’animation gagne les chasseurs, dont la troupe aux costumes éclatants passe comme une apparition sous les grands arbres des allées. Les loups se font battre dans les ventes du Buisson [partie d’une forêt qui vient d’être coupée (pour être vendue) NDLR], qu’ils parcourent en tous sens, cherchant vainement à échapper à la meute qui les presse. Ils, vont, viennent, reviennent à leur point de départ, pour fuir de nouveau, harcelés, affolés par les aboiements, par les cris, par les fanfares dont le bruit ne leur laisse ni trêve, ni repos.
– Tout à coup, en passant pour la cinquième ou sixième fois au « Hêtre du Forestier », la bande de loups prend un grand parti. Elle se disperse et quatre d’entre eux gagnent la lisière, se jettent dans la plaine, atteignent les vignes au-dessus des Vallées et vont chercher un abri dans les bois des moines de Barbeau. En voyant cette proie leur échapper, les chasseurs ne purent retenir un mouvement de dépit ; les deux loups qui restaient semblaient indignes d’une meute royale.
– La vénerie redouble d’ardeur, la poursuite est de plus en plus acharnée. Serrés de près, les loups se retournent de temps à autre, lançant un coup de dent à ceux des chiens qui les harcèlent de plus près. Leur souffle devient haletant ; on voit que le dénouement est proche.
– « À la Butte de la Levrette blanche », les carnassiers épuisés et à bout de forces, s’arrêtent subitement, font tête aux chiens en se mettant sur la défensive, décidés à vendre chèrement leur vie. La meute fait cercle, hésite un instant, puis s’élance sur ses adversaires qui distribuent force coups de crocs, mordant, arrachant tous ceux des chiens qu’ils peuvent saisir. Le sang ruisselle, des chiens éventrés, égorgés, gisent à terre, râlant et poussant un dernier cri de douleur. Pour d’autres que les chasseurs habitués à ces spectacles émotionnants, cette lutte féroce eut été effrayante. Au contraire, ils semblaient savourer la vue du carnage et l’odeur du sang…
Cédant sous le nombre de leurs ennemis, les loups perdent de leur vigueur et commencent à opposer une résistance moins vive. Harcelés de tous côtés, puis bientôt saisis à la gorge et horriblement mordus par tous les chiens acharnés après eux, jusqu’à l’instant où un lamentable hurlement, qui domine les aboiements et les fanfares, annonce qu’ils ont cessé de résister et de vivre.
Le combat était terminé, mais à côté des cadavres des deux loups étaient étendus, morts et expirants, plusieurs chiens dont les blessures indiquaient l’ardeur et la rage de l’attaque et de la défense.
Les cadavres sont chargés sur un chariot qu’on orne de feuillages. La meute, arrachée avec peine des cadavres qu’elle menace encore, est rassemblée par les valets de chiens. La suite s’organise, chacun suivant son rang, et le cortège, le roi en tête, se met en marche pour regagner Fontainebleau. D’éclatantes fanfares célèbrent la victoire, pendant que, sur
la route, les populations des villages, attirées par la curiosité, font entendre de vives acclamations.
– Le soir, entre le souper et le bal, la vénerie donna aux hôtes du Palais, dans la cour ovale, le spectacle d’une curée aux flambeaux [Terme de vénerie : portion de la bête que l’on abandonne aux chiens]. Ce fut un des attraits des plaisirs royaux à Fontainebleau pendant l’automne de 1725.


– On dit aussi que le 7 novembre 1807, Napoléon Ier, en réception au château de Châtillon-la-borde, déjà en assez mauvais état, se livra à la chasse au loup dans le bois environnant avec son frère Jérôme, Murat, le prince de Wurtemberg et les officiers de chasse de Fontainebleau.
– C’est là, Père Valentin, un récit attrayant… et effrayant. De nos jours, les loups ont disparu ; restent chevreuils, sangliers, gibier à poil et à plumes : de quoi ne pas rentrer bredouille.
– Mais, dites-donc, M. le Doyen, ne nous attardons pas… Il fait un « froid de loup »… Si nous entrions au « Bon Coin » pour satisfaire notre « faim de loup » ?
– Volontiers, mais « à pas de loup », pour ne pas déranger les consommateurs…
– Bon appétit, bonne fin d’année et rendez-vous pour 1954 !

Père Jozon (adaptation, A.Mary)