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Modifiée le 6 juillet 2022

La chaine des galériens

Les registres paroissiaux, avant la Révolution de 1789 et les registres d’état civil à partir de 1792,sont des sources importantes pour les généalogistes et les historiens. Ces mêmes registres paroissiaux au Châtelet-en-Brie ne dérogent pas à la règle.

Ils évoquent des situations insolites de la vie quotidienne dans notre village. Un de ces événements en est un témoignage.

Voici un acte de décès de trois soldats, datant des 16 et 17 novembre 1692, trois galériens inhumés au cimetière de l’église Marie-Madeleine, lors du passage de la « chaisne » au Châtelet.

« L’an de grace 1692, le 17e jour de novembre, les corps de Benoist Guerrier Soldat au régiment de ? compagnie de (?) âgé de 20 ans natif de Sainsigny condamné aux galères par le conseil de guerre tenu au camp de ? en septembre 1692, décédé le 16e jour dudit mois [novembre] en ce lieu du Chastelet au passage de la chaisne, aussi Rambault dit la Brie aussi soldat au Régiment de Thou…(illisible) agé de 20 ans natif de Puiseaux conduit aux galères à Vie pour desertion par le Conseil de guerre tenu le 28 aoust de ladite année 1692 décédé en ce lieu de passage de ladite chaisne ledit seizième jour dudit mois de novembre, François Choquart, Soldat au Régiment de Picardie Compagnie de Tilloson agé de 21 ans natif de ? condamné aux galères à vie pour desertion par le Conseil de guerre tenu à Dunkerque le 2 juillet de la mesme année 1692 décédé au mesme passage de la chaisne des galériens aujourd’hui dix-sept novembre a été inhumé au cimetière de l’église paroissiale Marie Madeleine du Chastelet en Brie Diocèse de Sens par moi curé de ladite Eglise. Présent Nicolas Chenu maitre d’école de ladite paroisse et Nicolas Fromentin qui ont signé avec moi ».

Extrait d'acte de décès

Extrait d’acte de décès – Registres paroissiaux du Châtelet-en-Brie

On peut constater à la lecture de ce document, qu’aucun de ces trois jeunes soldats n’est originaire du Châtelet ; ils sont tous les 3 de passage et viennent respectivement de Sainsigny, de Puiseaux et de Dunkerque, condamnés aux galères à vie par le conseil de guerre de leur région pour désertion, quelques mois plus tôt.

C’est un sujet assez méconnu et auquel il convient de s’intéresser.

En quoi consistaient ces chaînes ou « chaisnes » ? Comment s’organisaient- elles ?

Les premières condamnations par les divers tribunaux, à une peine de galère, datent de 1522. C’est alors que fut mise en place ce que l’on appelle la « chaîne des forçats », qui ne fut abolie qu’en 1836.

La chaîne est un processus de regroupement et d’acheminement des forçats vers les ports et les arsenaux de la marine de guerre.

En 1661, sous le règne de Louis XIV, c’est Colbert et son fils le marquis de Seignelay qui lui succède en 1683, qui sont chargés de développer la marine de guerre. On construit et on arme des galères (grands navires à rames et à voiles) et il faut engager des hommes, beaucoup d’hommes, mais où les trouver ? Outre des esclaves achetés en méditerranée, on fait appel aux tribunaux pour qu’ils envoient le plus possible de condamnés.

C’est ainsi, qu’entre 1680 et 1715 environ 38000 hommes sont envoyés à Marseille pour être embarqués sur ces galères. On y trouve des condamnés de droit commun (30%), des protestants (4%) et 45% de déserteurs entre autres. Ces derniers, de pauvres gens, étaient enrôlés dans l’armée par des sergents recruteurs qui leur faisaient de belles promesses qui seront non tenues, leur offrant des primes d’engagement, le tout bien « arrosé ». Lorsqu’ils étaient dégrisés, s’apercevant de leur erreur, ils prenaient la fuite ; d’autres quittaient leur régiment, ne s’habituant pas à leur condition de soldats.

Dès qu’ils étaient repris, les condamnations par le conseil de guerre étaient très lourdes. On en veut pour preuve les galères à vie des trois comparses décédés au Châtelet en 1692.

Lorsque la sentence était prononcée, on envoyait les condamnés en prison en attendant leur départ. La prison était choisie en fonction des lieux de passage de la chaîne.

Les trajets

Il existait trois chaînes principales : celle qui partait de Paris, celle de Guyenne et celle de Bretagne.

La chaîne au départ de Paris en direction de Marseille est celle qui nous concerne plus particulièrement. Il existait aussi des chaînes d’amenés ou secondaires qui transféraient les prisonniers d’une prison proche du lieu de passage de la chaîne principale et les aggloméraient à eux. Les condamnés d’Alsace par exemple, rejoignaient à Dijon la chaîne venant de Paris.

Elle partait pour le sud de la France au moins deux fois par an, en automne et au printemps, davantage si besoin. Elle regroupait dans la capitale tous les prisonniers venant du nord de la France.

Sous Louis XIV, le convoi partait de la prison des Tournelles et le trajet s’effectuait à pied. Plus tard, au XVIIIe siècle la chaîne démarrait de Bicêtre et les prisonniers pouvaient bénéficier de charrettes.

Mais avant le départ, il y avait un rituel immuable : « Le ferrement des condamnés ». Ils étaient amenés dans la cour de la prison, on leur passait un collier autour du cou et par un lien métallique on les reliait à une chaîne deux par deux. Cette cohorte pouvait atteindre jusqu’à 200 personnes.

La chaîne s’allongeait tout au long du voyage au passage dans certaines villes où d’autres condamnés venaient grossir ce bien triste cortège.

Cette chaîne était conduite par un assurément sommaires. Ils dormaient dans des étables ou dans des fermes, sur un ballot de foin dan s meilleurs cas. Parfois, à la belle étoile même par mauvais temps. Lors de ces étapes, les tentatives d’évasions étaient quasiment impossibles, entrepreneur privé qui avait passé contrat avec l’administration. Il percevait une somme forfaitaire par galérien arrivé à destination. Sur cette somme il devait nourrir, loger les prisonniers et rétribuer les « argousins », gardes chargés d’encadrer la chaîne tout au long du chemin, jusqu’à leur destination. Même s’ils avaient prêté serment de respecter ces détenus et de les traiter humainement, nombre de ces responsables n’échappaient pas à la tentation de faire la plus grosse marge financière.

Cela ne pouvait passer que par des privations et des mauvais traitements infligés quotidiennement. Ces transferts étaient donc très épuisants physiquement. A cela s’ajoutaient les humiliations qui étaient de vrais supplices tout au long du trajet.

Le ferrement des forçats

Le ferrement des forçats

Durant des décennies, ces manifestations étaient très attendues par les gens des villes et des villages, ils conspuaient et injuriaient les prisonniers sur leur passage.

Ces expositions faisaient partie intégrante de la peine. Elles avaient valeur d’exemple, étaient destinées à faire réfléchir ceux qui les voyaient passer et étaient censées avoir un effet dissuasif.

Départ de la chaîne des forçats Kremlin Bicêtre - vers 1834 - Wikipédia

Départ de la chaîne des forçats Kremlin Bicêtre – vers 1834 – Wikipédia

Sylvain Rappaport, dans son livre « La Chaîne des forçats », parle d’une « pédagogie de l’effroi ».

Les convois qui partaient de la prison des Tournelles en direction de Marseille empruntaient toujours le même trajet et progressaient par étapes ; le premier arrêt avait lieu à Charenton où les prisonniers étaient fouillés et délestés des quelques biens qu’ils possédaient, par leurs gardes. Puis ils empruntaient la vallée de la Seine jusqu’à Montereau, en traversant Le Châtelet ; continuaient en direction d’Auxerre, obliquaient vers Alise-Sainte-Reine et Dijon. Cette partie du trajet prenait deux semaines à pied par étapes de 25 à 30 km quotidien. De Châlon, ils embarquaient sur la Saône jusqu’à Lyon et descendaient le Rhône jusqu’à Avignon ce qui prenait dix jours. La fin du voyage se faisait à pied jusqu’à Marseille ou Toulon. Ainsi, ce calvaire pouvait durer plus d’un mois au total.

Le Châtelet était une de ces multiples étapes, les trois décès et enterrements ont été enregistrés sur deux jours les 16 et 17 novembre.

Notre village devait vivre périodiquement des moments forts, qui étaient, comme partout, très attendus. Attendus, parce que ces passages étaient chargés d’émotion et très spectaculaires par leur importance, des chaînes ambulantes de centaines d’hommes !

Il y avait aussi la nécessité de loger et de nourrir tout ce monde. Même si les repas et les couchages étaient assument sommaires. Ils dormaient dans des étables ou dans des fermes, sur un ballot de foin dans meilleurs cas. Parfois, à la belle étoile même par mauvais temps.

Transfert de la chaîne de Paris à Rennes - Wikipédia

Transfert de la chaîne de Paris à Rennes – Wikipédia

Lors de ces étapes, les tentatives d’évasions étaient quasiment impossibles, mais certains téméraires s’y aventuraient malgré la présence rapprochée de garde chiourme et réussissaient cet exploit. Est-ce que c’est la cause du décès subit de nos trois galériens ? Aucun indice ne nous permet de l’affirmer ; ou bien est-ce la conséquence d’une maladie contagieuse ? Cela fait partie des hypothèses possibles.

André Mary