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Modifiée le 15 septembre 2023
Histoire de « Poubelle » et de tombereaux
Le problème de la salubrité dans les villes et les villages a de tout temps été une préoccupation majeure. Les détritus jonchaient les rues et pourrissaient sur place provoquant des épidémies de grande ampleur. Mais la prise de conscience des causes de ces maladies mit longtemps à émerger. Il faudra attendre la période hygiéniste de la fin du XIXe siècle avec les découvertes de Pasteur pour qu’une prise de conscience de ce phénomène émerge progressivement pour devenir pérenne, comme nous allons le voir ici.
Les précurseurs du ramassage des ordures
Il est bon de savoir que dès 1184, à l’époque de Philippe Auguste, on avait commencé à paver certaines rues de Paris. Les habitants de ces voies pavées se réunirent en groupe pour louer des tombereaux qui reçurent comme mission d’enlever tous les jours les ordures ménagères et de les transporter au pourtour de la ville, dans les champs.
Mais la bonne volonté des quelques habitants bienfaiteurs ne suffisant plus, l’administration dut taxer chaque habitant pour assurer l’entretien des rues.
En 1539, François 1er avait, par une ordonnance, décidé que l’on ferait usage de paniers dans lesquels les habitants devraient déposer les ordures, au lieu de les jeter purement et simplement dans la rue en attendant le passage des tombereaux. Cette ordonnance fixa précisément les modalités de dépôt (dans des boîtes fermées), ainsi que les horaires de passages pour l’enlèvement des ordures. Mais nous remarquons qu’au XIXe siècle le problème des immondices dans la capitale était beaucoup plus criant qu’au XVIe siècle.
En 1853 par exemple, on autorisait le dépôt d’ordures à même le sol, sur la chaussée à partir de quatre heures du matin. En fait, on les déposait dès vingt-et-une heures. Aussi les parisiens qui rentraient tard chez eux rencontraient des milliers de chiffonniers occupés toute la nuit à remuer et à éparpiller ces ordures ménagères, pour y trouver nombre de déchets dont ils pourraient tirer parti, quelque peu aux dépens de l’hygiène. En effet, les tas d’immondices jonchaient les rues de la capitale, entraînant des épidémies de choléra par exemple et faisant beaucoup de victimes.
C’est enfin en 1884, que le préfet de Paris mit en place un système de collecte de ces ordures. Il se nommait Eugène Poubelle, naquit à Caen en 1831 et mourut à Paris en 1907. Il était à l’origine professeur de droit. Eugène Poubelle reprit en grande partie les dispositions de François 1er avec son ordonnance de 1583 !
Cette opération de nettoyage, qui nous semble aujourd’hui une évidence, était loin de l’être à la fin du XIXe siècle. Elle fut vécue comme une intrusion insupportable dans la vie des citoyens. On considérait que le « Paris pauvre, souffrant et travaillant » n’était pas pris en compte, notamment les chiffonniers qui perdaient leur gagne-pain en ne pouvant plus récupérer les produits en assez bon état pour les vendre. C’est ainsi qu’en imposant la collecte des ordures, Eugène Poubelle reçut « une volée de bois vert ».
Pour organiser la récupération des ordures, les propriétaires seront tenus de fournir à leurs locataires des récipients de bois garnis de fer blanc et munis d’un couvercle. Ces boîtes seront sorties par les concierges les jours de ramassage.
Ce préfet prévoyait un tri sélectif : bois et chiffons, débris de vaisselle et coquilles d’huîtres dans une boîte et le reste dans une autre. Toutes ces ordures devaient être acheminées hors de la capitale. Ces boîtes prirent définitivement le nom de ce préfet, « la poubelle », qui restera célèbre encore longtemps grâce à cette heureuse initiative il y a bientôt 140 ans !
C’est le premier janvier 1884 que le Figaro publiera un article concernant le contentieux qui opposait les détracteurs de cette loi et le préfet de Paris. C’est Eugène Poubelle qui eut le dernier mot. Les personnes favorables à ce tri sélectif affirmèrent à juste titre que la santé publique y gagnerait. C’est ce préfet qui, en cette même année de 1884, organisera « le tout-à-l’égout » dans la Capitale. Ce fut une véritable révolution qui fut initiée ; révolution sanitaire destinée à en finir avec l’insalubrité qui générait d’immenses pertes humaines. Mais il faudra du temps pour obtenir l’adhésion du plus grand nombre, car les us et coutumes ont la vie dure et les mentalités résistent aux lois et aux changements avant de devenir évidentes. Dès le jour de la publication de l’arrêté préfectoral, les adjudicataires purent récolter nombre de produits réutilisables, car tout était mélangé, non trié. Progressivement, les grandes villes, puis les bourgades provinciales, ainsi que de nombreux villages français organisèrent à leur tour le ramassage et le traitement des ordures ménagères.
Et au Châtelet-en-Brie ?
Dès 1904, très régulièrement, les ruelles et les places seront débarrassées des boues et des ordures. Chaque quartier disposera d’un emplacement réservé au regroupement des détritus. Eugène Gayard sera le premier adjudicataire pour une durée de trois ans.
Son cahier des charges était très strict et rigoureux. L’enlèvement des ordures se fera par tous les temps ; qu’il neige, qu’il vente ou qu’il pleuve. Tout doit être net avant le dimanche dix heures, sous peine d’amendes. La ville ne fournit aucun personnel. L’adjudicataire, tenu de tout ramasser, fera son profit des boues qu’il transportera où bon lui semblera. Mais il devra respecter « lois, hygiène et salubrité publique ». Si cette mission n’est pas menée à bien et l’endroit mal nettoyé, l’adjudicataire sera passible d’une amende ; le constat sera effectué par le garde-champêtre. Après trois injonctions le contrat sera résilié.
En 1905, le ru de la Fontaine sera régulièrement nettoyé, depuis la sortie des eaux de la fontaine de la rue Basse, sur toute sa longueur en passant sous le pont de la grande route. Ce nettoyage aura pour but d’ôter toutes les vases obstruant la circulation des eaux et recouvrant les arbustes et les herbes des berges. C’est monsieur Charpentier qui en 1905 est adjudicataire pour le nettoyage du ru.
En 1910, le 21 novembre, « Louis Bègue, adjoint au maire, et les membres de la commission des chemins avons procédé à l’adjudication pour l’enlèvement des boues, dans les rues et les ruelles du village. »
À partir de 1911, toutes les adjudications sont décidées pour des périodes de trois ans.
Le ménage dans les classes est effectué par deux femmes.
En 1913, l’adjudication pour l’enlèvement des boues dans les rues, ruelles et places, est reconduite pour les trois années à venir. Par ailleurs, M. Foiret, maire du Châtelet à cette époque, interdit tout dépôt de débris de verre ou de vaisselle aux emplacements dédiés aux ordures.
Enlèvement des boues
Le 5 janvier 1925, sur la proposition du maire, le conseil est d’avis de proroger d’une année l’adjudication des boues du 5 janvier 1926, approuvée le 15 janvier de la même année, qui déclare adjudicataire Monsieur Girard Ernest, moyennant la somme de 695 F.
Le 30 décembre 1929, un cahier des charges très précis est publié par la commission siégeant à la mairie, sous l’autorité du maire.
« Tous les adjudicataires seront français et pourvus d’un certificat décerné par le maire.
Les articles 2 à 5 stipulent que tous les 15 jours les samedis les plus proches du 15 ou du 30 du mois, on procédera à l’enlèvement des boues, produits de balayages exécutés par les particuliers ou par la ville, au curage des caniveaux ou égouts, accotements et trottoirs, ramassage des tas d’ordures, pailles, herbes et débris végétaux, ainsi que des bouteilles cassées, verreries, faïences, cendres, résidus d’usines, chats ou chiens morts. Le tout transporté à la décharge dans des tombereaux, pour éviter que les liquides ne se répandent. Ceci se fera les samedis susdits à partir de 7 heures du matin, été comme hiver. Se poursuivre et être terminé dans les 24 heures. »
Article 6 :
« L’enlèvement devra être fait avec propreté et complètement, par tous les temps, malgré la pluie et la neige. L’itinéraire sera défini par le maire et ne pourra être modifié. Le lieu du transport est choisi par le maire, hors de la ville et éloigné des habitations pour éviter les émanations nuisant à la salubrité publique.
Les infractions pour non enlèvement seront sanctionnées de 1 à 5 francs selon la gravité. Par exemple, une amende de 20 francs pour toute interruption de service et de 1 à 10 francs pour tout tombereau laissant échapper des matières de toutes sortes (liquides ou autres) sur la voie publique. L’adjudicateur ne pourra pas céder une partie de son marché sans le consentement du maire. »
Une circulaire de 1930 indique une adjudication pour 5 ans : du 1er janvier 1930 au 31 décembre 1935.
En juin 1941, le maire, Pierre Brun, expose au conseil que l’enlèvement des ordures ménagères est en souffrance et exécuté par des moyens de fortune, depuis les événements de juin, [débâcle de l’armée française et occupation allemande à partir de juin 1940. Ndlr], qu’il est nécessaire de réorganiser ce service le plus tôt possible. Le conseil charge le maire de traiter au mieux. C’est monsieur Alphonse Brynaert qui, après avoir traité avec M. le maire, sera nommé adjudicataire, pour les 5 années à venir et rémunéré 4 000 francs, payables 2 000 francs par semestre, pour l’enlèvement des ordures une fois par semaine.
En guise de conclusion
Aujourd’hui, dans toutes les communes de France, tout encombrement de rue par des poubelles ou ordures non ramassées crée des polémiques. Ce fut le cas à Paris au mois de mars 2023 lors de la grève des éboueurs. Des images postées sur les réseaux sociaux ont fait le tour du monde. Elles dénonçaient, une fois de plus, le problème de la propreté de la Capitale.
Mais cela aura au moins eu le mérite de mettre en évidence le travail des éboueurs et la mission de salubrité publique qu’ils accomplissent quotidiennement. Nous ne pouvons que les saluer. Ceci ne donne que plus de valeur à l’œuvre du préfet Poubelle qui a donné son nom à la célèbre boîte à ordures. Autres temps, autres mœurs : à l’époque, son combat hygiéniste avait déclenché une fronde que l’on connaît !
Patricia Mary