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Modifiée le 26 mars 2024

Enquête sur un « soldat » méconnu !

Dans le cadre de nos recherches historiques, toutes les périodes nous intéressent. Ainsi, nous avons effectué des investigations sur les personnages inscrits sur le Monument aux morts de la commune.

Pour la plupart des noms présents nous avions des renseignements que nous avons depuis lors complétés.

Toutefois, concernant le deuxième conflit mondial, un nom nous résistait depuis de nombreuses années. Et l’histoire est comme une enquête policière : il faut être patient et saisir toutes les occasions susceptibles de nous renseigner davantage. La clé de notre énigme est venue de la consultation d’un état de recensement de la population du Châtelet-en-Brie. Notre chercheur a trouvé le nom de la mère de notre mystérieux défunt. A partir de là nous avons déroulé le fil et trouvé de nombreuses informations qui nous ont un peu ébaubies. En voici un résumé du résultat.

Pour une question de respect des descendants éventuels, le prénom du principal intéressé à été changé. Les prénoms des autres personnes ont été gardés et seules l’initiale du nom a été indiquée.

La jeunesse d’Hervé

Hervé (c’est ainsi que nous appellerons notre défunt), est né à Fretin dans le Nord (arrondissement de Lille) le 29 avril 1921. Sa mère, Cécilia L. vient habiter le Châtelet-en-Brie antérieurement à 1926. Elle est hébergée chez un ami, d’origine italienne, Dominico C., scieur dans une scierie locale. Elle est deux fois veuve et s’installe donc sous le nom de son deuxième mari (différent du nom d’Hervé issu de son premier mariage).

L’enfance d’Hervé se passe donc aux alentours de la rue Basse. De cette période nous n’avons que peu de renseignements. Un témoignage oral d’une personne maintenant décédée nous a fait part d’une intervention pétaradante de ce galopin accompagné de quelques autres pendant un office religieux !

Plus surement, nous savons qu’il fut reçu au Brevet Sportif Populaire en août 1937, alors qu’il a 16 ans. (la République de Seine-et-Marne – 1937)

Deux ans plus tard, au début de l’année 1939, sa maman décède. Il reste hébergé par Dominico qui est alors considéré comme son beau-père.

C’est à partir de ce moment que la vie de l’adolescent bascule.

Les premières frasques

Hervé a 18 ans. En mai 1939, une femme de 51 ans était venu réclamer son dû auprès de Dominico. Pendant cette entrevue Hervé est prié de sortir. Mais le jeune garçon, peut-être un peu sanguin, en vient aux mains et Thérèse L. est frappée au visage et injuriée malgré la présence de son mari. Passé en jugement, il écope d’un mois de prison avec sursis et 100 francs de dommages-intérêts. (articles de presse)

Le jugement à lieu le 29 juillet 1939.

Le 14 mars 1940, il écope de 8 jours de prison pour vol. Mais à Orange dans le Vaucluse !

Le 7 octobre 1941 il commence à travailler au Châtelet-en-Brie.

En janvier1942. Dans un débit de boisson Marty situé à l’angle de l’actuelle rue de l’Hôtel de Ville et de la rue Saint-Hubert, Hervé rencontre Louis S (35 ans), connu pour ses qualités de voleur de volailles, à qui il demande une poule. Louis se rend donc à la ferme du Château des Dames et vole deux poules. Il revend la première à Hervé moyennant 20 francs (qui la remis à Maurice G.- 27 ans contre 60 francs !) et la seconde à Raymond G. (29 ans).

Les trois compères sont arrêtés et inculpés de vol et recel. Le jugement à lieu le 13 mars 1942. A cette occasion, Hervé est condamné à un mois de prison. Mais il n’est plus là : il est en Allemagne. Sentant la justice se rapprocher de lui Il est parti comme travailleur volontaire certainement dans la dernière semaine du mois de février 1942. Son passeport pour les travailleurs recrutés par les autorités occupantes lui est attribué entre le 4 et le 12 mars 1942 ! Son père adoptif cautionne ce départ et le rapport de moralité demandé à ce moment précise « la conduite d’Hervé n’est pas fameuse ». Dans la demande de passeport nous apprenons qu’il est en ménage avec Renée M et a deux enfants : J. 6 ans et L. 4 ans. Mais sont-elles ses filles ?

A partir de cette date, les éléments de notre enquête nous ont été transmis par les archives d’Arolsen- International Center on Nazi Persecution (Allemagne) ainsi que par le Service Historique de la Défense de Caen. L’obtention des ces documents fut dans un cas assez difficile, mais nous sommes tenaces !

Hervé en Allemagne

Un courrier de son père adoptif daté de décembre 1946 adressé au Ministre des Anciens Combattants en vue d’une demande de pension nous indique que son héros de fils participe à des actions de résistance : sabotages de deux convois ferroviaires, transport de troupes. Selon lui, il est parti en Allemagne afin de « combattre l’Allemand, dans l’espoir de faire sauter des établissement fritz », il est « infiltré en Allemagne avec les travailleurs, pour montrer à ces chleux ce qu’est un Français »… « il est jeté en prison pour avoir fait passé des prisonniers évadés en Suisse ». Arrêté avec ses copains, il est jeté en prison et torturé. Il sort de prison le 24 avril 1944 puis est fusillé avec ses douze copains. Voici comment Dominico voyait ce qui était arrivé à son fils.

Une enquête de la Gendarmerie Nationale, est diligentée par la préfecture de Seine-et-Marne (Direction Départementale des Anciens Combattants) en juillet 1949. Le même Dominico, dira à cette occasion qu’il ignorait pourquoi Hervé avait été fusillé le 24 avril 1944. Un autre témoin, chatelain, Albert D. dit être parti avec Hervé en Allemagne en mars 1942 en tant que travailleurs volontaires. Ils ont été dirigés vers BRUX (Tchécoslovaquie) où ils ont travaillé 3 mois. Ils s’évadent avec quelques autres camarades. Hervé est arrêté par la police allemande dans le train de Leipzig à Cologne.

Les archives nous apprennent une toute autre vérité !

Il est arrêté le 23 juin 1942 vers Leipzig transféré et emprisonné à la prison de Berlin-Moabit du 24 juin 1942 jusqu’au 17 août 1942, date à laquelle il est remis en liberté. Lors de son arrestation il dit s’appelé Jean Plondeau et possède de faux papiers à cette identité.

Puis Hervé formé par un autre français travaille comme boulanger à Berlin-Grünau, et ensuite dans une boulangerie industrielle car « il voulait gagner plus d’argent ». Il fait la connaissance d’un certain Victor L. qui va l’entrainer dans ses « magouilles ». Ce dernier est déjà un spécialiste des cambriolages.

Les faits les plus précis nous sont rapportés par l’acte d’accusation daté du 25 avril 1944.

Fin novembre 1942, Hervé ne se présente plus sur son lieu de travail. Il fait alors l’objet d’un avis de recherche de la police judiciaire de Berlin. Il ne travaillera plus. Il s’installe dans un hotel près d’Alexanderplatz et se nourrit de cambriolages. Entre Décembre 1942 et Juin 1943, avec Victor L. son complice serrurier et certainement son mentor car plus âgé que lui et surtout déjà lui aussi rompu à ce genre d’activité, ils vont commettre pas moins de 5 vols avec effractions. Les accompagnent dans ces aventures, Toussaint M., Simone N. et un allemand Max M. Ce dernier revend le produit des larcins à des juifs de sa connaissance !

La première quinzaine de décembre 1942, Herve, Victor, Toussaint et Deux frères, Fernand et Roger cambriolent un magasin d’alimentation près de la gare de Gesunndbrunnen. Si les deux premiers font le guet, les autres agissent. Butin : beurre, charcuterie, tickets d’approvisionnement pour une valeur de 250 Reichmark (RM).

La deuxième quinzaine de décembre 1942, autre lieu, même méthode : dans un magasin d’alimentation de Berlin-Oberschöneweide, les deux compères accompagnés de Fernand et un espagnol dérobent 12 livres de beurre, des saucisses, des bonbons, des tickets de rationnement pour une valeur de 1000 RM. Le butin est vendu à Max M. qui de son côté fait une plus-value auprès de ses amis juifs.

Dans la nuit du 1er janvier 1943, les mêmes récidivent dans une autre épicerie de Berlin-Oberschöneweide. Le butin est cette fois-là plus important : 25 kg de beurre, 20 bouteilles de cognac. Après dégustation de cognac, le reste des bouteilles. Quant au beurre, il aurait disparu !

Dans la nuit du 5 janvier 1943, le duo avec Fernand et une française Micheline, pillent les magasins de cigares Kollhof au 47 de la Turmstrasse. Le réveil des propriétaires à contrarier la manœuvre des malfaiteurs qui sont repartis avec une seule caissette contenant 40 RM et quelques cartouches de cigarettes.

Deux autres vols leur sont encore attribués avec des butins sensiblement identiques : alcool, nourriture, tickets d’alimentation et argent liquide.

C’est lors du vol du 23 janvier 1943, dans une boulangerie qu’ils se font arrêter et placés en détention provisoire à la prison de Berlin-Moabit. Hervé est transféré à la prison de Plotzensee le 1er octobre 1943.

L’acte d’accusation porte donc principalement sur le motif de vols avec effraction commis en bande organisée.

Mais le contexte de guerre et surtout le régime dans lequel se sont déroulés les faits les ont aggravés. Hervé et Victor sont considérés comme des « étrangers asociaux » qui n’ont jamais réellement travaillés et se sont nourris exclusivement des fruits de leurs rapines.

« Vu la fréquence de leurs actes criminels et le grand danger que représentent les cambriolages de ce type, en particulier dans les magasins d’alimentation en temps de guerre, la protection du peuple allemand exige la peine de mort ». Ils sont alors incarcéré dans la prison de Plötzensee à Berlin-Charlottenburg.

C’est durant la période nazie de 1933 à 1945 qu’elle devient célèbre pour sa fonction de lieu central des exécutions, notamment des résistants condamnés à mort par le Volksgerichtshof (Tribunal du peuple.NDLA ). Sous le régime nazi, la peine capitale n’est exécutée que dans un certain nombre d’établissements pénitentiaires répartis sur tout le territoire du Reich allemand. Le Code pénal (Strafgesetzbuch, StGB) dispose que le verdict doit être exécuté par décapitation. (Wikipédia)

C’est ainsi que Hervé et Victor sont jugés. Les antécédents judiciaires sont pour eux des facteurs aggravants.  Les complices écopent de peines d’emprisonnement jusqu’à 3 ans (ils continuaient de travailler !). Max, le receleur, quant à lui, bien qu’allemand est condamné à mort et « perd ses droits honorifiques à vie » !

Le 26 mai 1946, la sentence est mise à exécution : Hervé est guillotiné à 11 h 27. Son comparse Victor L. subi le même sort à 11 h 30 et Max M ; à 11 h 33. L’acte de décès indique qu’Hervé est marié à Renée M.

 Finalement, deux questions se posent :

1-    Mort en Déportation ? Hervé est parti de lui-même en Allemagne comme travailleur volontaire.

2-    Mort pour la France ? Là est la question !

Jacky Breuillé