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Modifiée le 15 janvier 2017

1792 : Révolution dans l’état civil

Déclaration des droits de l'Homme (Estampe Niquet le jeune).

Déclaration des droits de l’Homme
(Estampe Niquet le jeune).

Au printemps 1789, le peuple de Paris se mit à gronder. Les révoltés envahirent les rues, « la Révolution française se mettait en marche. »
Le 14 juillet de cette année-là connut la prise de la Bastille et l’abolition des privilèges féodaux.
Ceci permit de consacrer le principe de l’égalité des hommes entre eux, proclamée par la célèbre « Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen ».
1790, le Royaume de France fut divisé en 83 départements et en 1791 une constitution qui prit le nom de Constituante vit le jour avant d’être rebaptisée Convention.

 

Mais c’est en septembre 1792 que la Convention prit les décisions et appliqua les réformes qui marquèrent la fin d’un ordre ancien rebaptisé ultérieurement « Ancien Régime ».
Un train de mesures sans précédent s’ensuivit : réorganisation des lois, création de tribunaux, lutte contre l’église etc.
C’est ainsi que, dans la nuit du 21 au 22 septembre 1792, la Royauté fut abolie et peu de temps après, la Convention proclama la « République une et indivisible ».
Pour marquer la naissance d’une ère nouvelle, l’Assemblée législative décida de la doter d’un calendrier républicain aux noms poétiques tels que : floréal, messidor, fructidor etc. pour dater tous les actes officiels à venir.
1792, marquant la fin de la Royauté, devint l’an I de la République.
Enfin, une loi votée par la Convention confia aux municipalités la mission de tenir les registres d’état civil où seront consignés les naissances, mariages et décès.
« Art.1er Les municipalités recevront et conserveront à l’avenir les actes destinés à constater les naissances, mariages et décès. »
C’est ce dernier point qui sera développé ci-dessous et fera l’objet de notre article.

Mais auparavant, il s’avère nécessaire de procéder à un bref rappel historique des conditions dans lesquelles naquit l’état civil.
En 1539, François 1er, par l’ordonnance royale de Villers-Cotterêts, posa les fondements de l’état civil en exigeant des curés de toutes les paroisses du Royaume, qu’ils procèdent à l’enregistrement par écrit des actes des baptêmes effectués chaque année.
Quarante ans plus tard, en 1579, Henri III, par l’ordonnance de Blois, imposa en sus, l’enregistrement des actes de mariages et décès.
Ces registres prendront le nom de « Registres paroissiaux ».

Le 20 septembre 1792, la confiscation des registres paroissiaux conservés dans les presbytères au profit des municipalités, mit fin au monopole de l’Eglise catholique qui, depuis près de trois siècles, avait la charge d’enregistrer dans chaque paroisse l’état civil de tous les habitants du Royaume.
Les termes de « baptême », et dans une moindre mesure « sépulture ou inhumation » furent remplacés par ceux de « naissance et décès », effaçant ainsi tout caractère religieux.
Le clergé disposa de huit jours pour remettre tous les registres paroissiaux entre les mains des officiers d’état.
Certes, nous pouvons y voir l’anticléricalisme caractéristique de la période révolutionnaire. Cependant, n’oublions pas qu’en vertu de la déclaration des droits de l’homme instituant l’égalité entre les citoyens, la laďcisation de l’état civil permettait aux non-catholiques, tels les protestants et les juifs, d’accéder à une identité officielle.
Et en vertu de la liberté des cultes, le choix fut laissé à tous les citoyens du village de consacrer les naissances, mariages et décès par les cérémonies de la religion à laquelle ils étaient attachés.
Au Châtelet-en-Brie, le curé Noleau assuma pour la dernière fois sa charge d’enregistrement de l’état civil en baptisant, le 11 novembre 1792, un enfant nommé Pierre Martin dont voici un extrait : « L’an mil sept cent quatre-vingt-douze, le onze novembre […] pierre martin […] ont été son parrain pierre nicolas morisseau […] sa marraine marie jeanne charlotte Lépicier… ».

 

Dernier acte de baptême enregistré au Châtelet par le curé Noleau et clôture du registre paroissial (Archives communales du Châtelet)

Dernier acte de baptême enregistré au Châtelet
par le curé Noleau et clôture du registre paroissial
(Archives communales du Châtelet)

A l’issue de quoi, le présent registre fut « Clos et arrêté Par nous Jacques Sou officier municipal du bourg du Châtelet en brie et Louis Simon Marsault Procureur de la commune le douze novembre 1792 an Premier de la République ».
Cette usurpation ne se fit pas sans heurts, notamment de la part des prêtres réfractaires, scandalisés par la perte de leurs privilèges.
Ce fut un bouleversement sans précédent pour les paysans promus soudainement « citoyens », alors qu’ils n’avaient connu, tout comme leurs parents et ancêtres, que la Royauté de droit divin et une Eglise toute puissante.
Les municipalités durent s’adapter à leur nouveau rôle et à l’utilisation des formules nouvelles exigées par la loi.
Ceci entraîna fatalement, de part et d’autre, des craintes, des confusions et des erreurs dans les déclarations et rédactions des actes.
Auparavant, référons-nous à quelques éléments contenus dans les articles de la loi du 20 septembre 1792 « qui détermine le mode de constater l’état civil des citoyens ».

– Concernant les actes de naissance, il est dit que : « Les actes de naissance seront dressés dans les 24 heures […] Le père sera tenu, sauf empêchement majeur de déclarer son enfant lui-même. L’enfant sera porté à la maison commune […] il sera présenté à l’officier public […] La déclaration contiendra le jour, l’heure et le lieu de naissance, la désignation du sexe de l’enfant, le prénom qui lui sera donné, les prénoms et noms de ses père et mère, leur profession, leur domicile, les prénoms, noms et domiciles des témoins »…
– Concernant les actes de mariage, « Les personnes majeures qui voudraient se marier seront tenues de faire publier leurs promesses réciproques dans le lieu du domicile actuel de chacune des parties […] Le mariage sera précédé par une publication faite le dimanche à l’heure de midi, devant la porte extérieure et principale de la maison commune, par l’officier public : le mariage ne pourra être contracté que huit jours après cette publication […] L’acte de mariage sera reçu dans la maison commune […] dans la salle publique […] le mariage sera contracté à haute voix, en ces termes : je déclare prendre….en mariage.[…] l’officier public prononcera au nom de la loi, qu’elles (les personnes) sont unies par le mariage ».
– Concernant les actes de décès, « La déclaration du décès sera faite par les deux plus proches parents ou voisins de la personne décédée, à l’officier public dans les vingt-quatre heures. »

Comment les autorités locales et les habitants accueillirent-ils cette « Révolution dans leur état civil » ?
Pour cela, interrogeons les registres :

Voici trois extraits concernant les premiers actes, enregistrés à la mairie du Châtelet courant novembre et décembre 1792 :
Naissance : « aujourd’hui dix Sept novembre mil Sept Cent quatre-vingt-douze L’an premier de la république françoise, devant nous Jacques Sou officier municipal […] pour La reception des actes de baptêmes marriages et sepultures s’est présenté devant nous louis Edme drigni vigneron demeurant en ce lieu, nous a dit que marie madelaine bachet sa femme etoit aCouché d’hier a huit heures du matin d’un Enfant mâle et baptisé aujourd’hui par le Citoyen nolleau Curé de Cette parroisse a qui le nom d’Edme augustin a été donné par augustin boudou vigneron en ce lieu et marie madelaine drigny parins et maraine » [….] fait en la maison commune.

 

Acte de naissance enregistré à la mairie. Mais on note que l'enfant a été baptisé le matin par le citoyen Noleau curé. (Registre d'état civil du Châtelet-en-Brie 1791-1792)

Acte de naissance enregistré à la mairie.
Mais on note que l’enfant a été baptisé le matin par le citoyen Noleau curé.
(Registre d’état civil du Châtelet-en-Brie 1791-1792)

Mariage : « aujourd’hui mardy treize de novembre mil Sept Cent quatre-vingt-douze L’an premier de la république françoise, devant nous Jacques Sou officier publique pour La réception des actes de baptêmes mariages et sépultures en exécution de la loi du vingt Septembre mil Sept Cent quatre-vingt-douze, c’est présenté devant nous le Citoyen nicolas georges Morel […] et Angélique Cossonnet […] Lesquels après la publication tens aux prônes de cette parroisse que par le secrétaire de cette municipalité et affiché d’yceux pendant huit jours et s’être rendu dans la salle de cette commune » […] afin que le mariage soit célébré.

 

Mariage en 1792

Mariage en 1792

En outre, l’officier d’état civil rappelait parfois, dans sa rédaction de l’acte, que les époux avaient reçu « la bénédiction nuptialle, face à notre mère l’Eglise ».

Décès : « aujourd’hui dimanche neuf decembre 1792 […] devant nous Jacques Sou officier municipal […] pierre bachet vigneron louis bachet […] ont déclaré que jean thomas bachet est décédé aujourd’hui au matin et a été inhumé ce jour par le Citoyen nolleau curé de cette parroisse ». Il était également fréquemment rajouté : « muni des saints Sacremens ».

Nous constatons dans ces trois actes que les habitants continuèrent à privilégier les rituels religieux avant de se rendre sagement à la maison commune comme la loi le leur demandait. Certes, ces trois déclarations eurent lieu peu de temps après l’adoption de la nouvelle législation. Les officiers d’état civil eux-mêmes commirent des erreurs en invoquant, comme ci-dessus, les concepts de « baptêmes, sépultures… » dans l’intitulé des formules récemment en usage.

Il ne sera pas rare non plus de les retrouver en marge de la transcription des actes. Il faudra encore beaucoup de mois et de persévérance pour que les habitudes, voire les peurs ne cèdent le pas aux nouvelles règles en vigueur.

Car, au Châtelet comme ailleurs, la Coutume mêlait étroitement les lois laďques et religieuses. Les villageois restèrent très attachés à leurs traditions surtout en matière de religion. En effet, comment pouvaient-ils sereinement obéir à une loi qui dépouillait leur curé de ses prérogatives sans risquer de connaître les affres de l’enfer ?

Mais aussi, comment se soustraire aux lois de la Nation sans craindre de s’exposer à de sévères sanctions ? Peut-être ce dilemme pouvait-il se résoudre en réunissant au sein d’un même acte les demandes contradictoires de la République et de l’Eglise ?

Ce que pratiquèrent bon nombre de nos villageois. Il ne s’agit toutefois que d’une hypothèse, certes plausible, tant le clergé exerçait une forte pression sur la vie quotidienne de tous les individus. 

Cependant, comme nous allons le constater, dans certaines circonstances, les scrupules religieux ne furent pas toujours la préoccupation majeure des citoyens châtelains.En effet, la législation de 1792, loin de se contenter de réformer les principaux actes, introduisit le droit au Divorce ; une loi inédite qui ébranlait les grands principes de la morale chrétienne, inculqués par l’Eglise tout au long de la vie de nos ancêtres.

Pour l’Assemblée nationale, le mariage laďc, rendu obligatoire, ne représentait plus qu’un contrat civil et non un sacrement. Il pouvait, à ce titre être dissout au nom de la liberté individuelle des époux.

Toutefois, il fallait que les époux fournissent des raisons pour que la demande de divorce soit prise en compte. Pour justifier la dissolution du mariage, la loi envisagea les causes susceptibles d’entraîner la séparation des conjoints : Le consentement mutuel des époux par exemple.

En effet, la simple allégation par l’un des conjoints, d’incompatibilité d’humeur ou de caractère pouvait suffire comme argument. Mais aussi des causes beaucoup plus graves, telles que, la démence, les injures, les sévices… pouvaient être invoquées.

Cette loi fut ressentie comme un véritable sacrilège par de nombreux curés qui ne pouvaient se résoudre à la dissolution du sacrement de mariage, mais aussi par les paroissiens les plus fidèles aux lois de leur église.

Pourtant, il semblerait qu’au Châtelet les habitants s’habituèrent rapidement à ce droit nouveau et après un temps d’hésitation, les citoyens osèrent peu à peu tenter l’aventure. À titre indicatif ; entre le 15 ventôse de l’an II (5 mars 1794) et le 14 vendémiaire de l’an III (5 octobre 1794) soit en sept mois, il y eut neuf divorces prononcés.

 

Divorce en 1792

Divorce en 1792

La loi de 1792 donna un rôle important aux officiers publics, chargés de constater l’état.civil des citoyens : voici ce qu’elle en dit « Aux termes de la Constitution, le mariage est dissoluble par le divorce […] qui sera prononcé par l’officier public chargé de recevoir les actes de naissances, mariages et décès dans la forme qui suit :
« Lorsque les deux époux demanderont conjointement le divorce, ils se présenteront, accompagnés de quatre témoins majeurs devant l’officier public en la maison commune […] ils justifieront qu’ils ont observé les délais exigés par la loi. […] ils représenteront l’acte de non-conciliation […] délivré par leurs parents assemblés ; et sur leur réquisition, l’officier public prononcera que leur mariage est dissous ».

Effectivement, lorsque deux époux demanderont par consentement mutuel la dissolution de leur mariage, la procédure sera très rapide. L’exemple cité ci-dessous, nous le démontrera.

« Ce jourd’huy huit Vendémiaire L’an III (29 septembre 1794) ……divorce demandé par Claude Villemain vigneron demeurant en la commune du Châtelet et Magdelaine lancée sa femme ». Ils comparurent au jour dit en la maison commune, chacun accompagné de ses quatre témoins. Les époux « ayant consenty mutuellement au divorce j’ay officier municipal Renvoyé les parties devant l’officier d’état civil pour prononcer deffinitivement le Divorce conformément à la loy ». Leurs témoins confirmèrent simplement que leurs tentatives de réconciliation des époux n’avaient point abouti.

Cependant il arrive que le divorce ne soit demandé que par l’un des conjoints, très souvent pour incompatibilité d’humeur ou de caractère, la démarche reste la même.
Toutefois si les époux et témoins confirment qu’aucune réconciliation n’est envisageable, le divorce sera également prononcé rapidement.

En revanche, comme précédemment, lorsque seul l’un des conjoints demandera le divorce contre l’autre partie, très souvent pour incompatibilité d’humeur et de caractère, et qu’aucun accord ne pourra être obtenu entre les deux époux, la procédure sera plus longue. Une deuxième comparution sera prévue environ deux mois plus tard et en cas de désaccord une troisième aura lieu. À l’issue de ce délai, le divorce sera prononcé en faveur du demandeur.

À titre d’exemple, nous évoquerons le divorce demandé par Heleine Couillard, âgée de cinquante ans, au motif d’une incompatibilité d’humeur et de caractère entre elle et son époux, Jacques Charles Burgevin, ancien garde. Ce dernier s’opposait catégoriquement au divorce.

Au préalable, les deux époux durent constituer chacun, leur assemblée de famille : il s’agissait des quatre témoins exigés par la loi, et auxquels on attribuait une fonction d’arbitres, chargés de réconcilier les parties.

Ensuite, les conjoints furent assignés à comparaître en la maison commune, le quinze ventôse de l’an II (5 mars 1794), chacun resta sur ses positions et leurs témoins ne parvinrent pas à les réconcilier.

« En conséquence Et sur le requis de lad [ite] heleine Couillard qui a persisté dans sa demande en divorce Nous avons requis et Invité L’officier municipal de rentrer en lad[ite] Chambre de lad[ite] Commune ou Nous Etions Et y Etant Effectivement rentré nous lui avons fait part que nous n’avions pu Concilier Led[it] Burgevin et Lad[ite] Couillard sa femme ».

Il fallut prévoir une seconde comparution qui eut lieu le dix-sept floréal (6 mai 1794), soit deux mois plus tard. Heleine Couillard persista dans sa demande et son époux refusa à nouveau, en ajoutant : « qu’il ne pouvoit consentir au divorce demandé par sa femme jusques à ce que sa ditte femme lui ay restitué tous les effets qu’elle lui avoit spolié ».

L’assemblée de famille tenta une dernière fois une réconciliation des parties mais en vain. « Nous arbitres Susnommés et Soussignés Nous etant Constitués En assemblée de famille et avoir Entendu les Contestations des parties respectivement Et avoir Essayés de les concilier Ensemble Et En Employant Tous les moyens qui ont été en Notre pouvoir nous n’avons pu parvenir à les concilier ».

Lors de la troisième et dernière comparution, le 17 thermidor de l’an II (4 août 1794), soit trois mois plus tard, seule Heleine Couillard et ses arbitres se présentèrent. Ni son mari ni ses témoins ne se déplacèrent. L’épouse, très tenace, persista une dernière fois dans sa demande de divorce.

Dès lors, plus rien ne s’opposait à la dissolution du mariage. Le 21 fructidor (6 septembre) en la maison commune, en présence d’Heleine Couillard et en l’absence de Jacques Charles Burgevin le divorce fut prononcé et le mariage, de ce fait, définitivement dissous.

Le droit au divorce tel que l’avait conçu les citoyens révolutionnaires, ne résista pas au code civil promulgué par Napoléon Bonaparte. Il ne fut certes pas aboli mais rendu difficilement praticable.

Napoléon en fit un chemin semé d’embuches et de tracasseries administratives, propres à décourager les demandeurs.

Notamment, le consentement mutuel fut interdit dans les cas suivants : époux jugés trop jeunes pour se séparer, mariage datant de moins de deux ans ou supérieur à vingt ans et également, lorsque l’épouse atteindra ses quarante-cinq ans.

De plus les époux demandeurs devront obtenir l’accord de leurs parents ou de leurs aďeux. Même en cas de sévices, le divorce ne sera pas prononcé immédiatement, il faudra que la vie des époux soit devenue insupportable. En 1814, la monarchie fut restaurée. Louis XVIII devint roi. Suite à la pression du clergé, une loi adoptée le 8 mai 1816 décréta l’abolition du divorce.
Il faudra attendre le 27 juillet 1884 pour que la loi d’Alfred Naquet rétablisse le divorce, mais uniquement pour faute.