Jeune adhérent à la société d’histoire du Châtelet-en-Brie, je souhaite faire partager au plus grand nombre le récit d’une affaire criminelle qui me passionne et qui a marqué la région si tranquille du Châtelet.
Cet évènement a été suivi par la presse nationale et locale pendant une semaine ; il s’est produit le lundi 27 novembre 1911 le long de la route nationale N°5.
Génèse :
Le samedi 25 novembre 1911, deux individus, dont un recherché par la police lyonnaise prennent la fuite en automobile de la ville de Lyon.
Ils sont les auteurs de plusieurs cambriolages dans cette région ; petit à petit l’étau s’est resserré autour d’eux. La vie de cambrioleur n’est plus sûre…
Du voyage en auto nous ne savons presque rien, seulement qu’ils ont dû emprunter les petites routes afin d’éviter les éventuels contrôles de la gendarmerie.
Le dimanche 26 novembre 1911 vers midi, ils s’arrêtent pour déjeuner à Saulieu à l’hôtel de La Poste. Le repas dure environ une heure. Le personnel présent remarque que les deux convives ne sont pas très loquaces. Vers 13 h 30, ils reprennent la route.
Le lundi 27 novembre vers 11 h 30, ils sont sur la route nationale N°5 entre les bois des Logettes et celui de Villabé, non loin de Pamfou et de Machault. L’auto stoppe brusquement au milieu de la route ; elle est couverte de boue empêchant de voir sa couleur originale. La végétation des alentours est recouverte d’une fine couche de neige, il fait froid, le silence des lieux est perturbé seulement par le cri des corbeaux.
Soudain deux coups de feu claquèrent à 5 minutes d’intervalle. Un garde particulier en tournée près de la lisière du petit bois fut surpris… Il accéléra le pas afin de se rendre le plus rapidement possible dans la direction des tirs semblant venir du long de la grande route. Au premier abord, il pensa à des braconniers en pleine action. Mais quand il déboucha en lisière du bois, il aperçut une auto à l’arrêt dont le moteur tournait. Des braconniers en auto pensa-t-il ! Ce n’est pas banal ! Intrigué, il continua prudemment son chemin, à ce moment il vit un homme portant une casquette enfoncée jusqu’aux oreilles, se diriger vers l’auto ; il monta et partit en trombe dans la direction du Châtelet- en-Brie.
Une fois la stupéfaction passée, le garde Blondeau se rendit à l’endroit où était arrêtée l’auto. Il remarqua une large tache de sang sur le sol ; il eut un mauvais pressentiment qui se confirma quelques minutes plus tard ; d’étranges traînées rouges semblaient se diriger en direction d’un bois proche se trouvant sur le côté gauche de la route en direction du Châtelet. Puis il découvrit un gant dans le fossé ; plus de doute, un évènement important venait de se produire ici. Continuant sa progression, il passa un fossé, remarqua des traces de chaussures ayant ripé, puis en franchissant une petite haie distante de dix mètres de la route, il découvrit un individu couché sur le dos à moitié déshabillé.
Il râle et crache du sang par la bouche. Blondeau s’approche, essaie de communiquer avec lui ; l’individu reste sans réaction.
Puis il décide d’aller prévenir les gendarmes.

Il retourne par un chemin à la ferme de la Fauconnière pour prendre un vélo afin de se rendre le plus rapidement au Châtelet. En chemin, il rencontre le charretier Chaumier qui revient de la ville, il lui demanda de rester auprès de la victime.
Enfourchant sa monture, 45 minutes plus tard, il est à la gendarmerie ; il déclare sa macabre découverte.
Deux gendarmes de permanence se rendent immédiatement sur le lieu décrit par le garde.
Là, pour une meilleure compréhension, il convient de citer le PV établi par la brigade N° 257 du brigadier Pôlvèche et du gendarme Billard René en date du 27 novembre 1911.
« Avons trouvé dans le bois de Villabé territoire de Machault à 10 mètres environ de la route N° 5 et en face de la borne hectométrique 30, couché sur le dos, les pieds dans la direction du nord, un individu râlant et perdant du sang abondamment par la bouche et l’oreille gauche ».
« Aussitôt arrivés, nous lui avons causé mais il était dans un tel état qu’il n’a pas eu l’air de nous entendre et n’avons rien pu obtenir de lui. Il répond au signalement suivant : 30 à 35 ans, taille 1m 60, cheveux blonds longs, petites moustaches blondes frisées.
Le docteur Vivier du Châtelet, arrivé peu de temps après nous, lui a prodigué des soins et a déclaré que cet homme portait deux blessures produites par balles, l’une dans l’oreille gauche, l’autre à la tempe du même côté. La victime frappée à l’improviste d’une balle dans l’oreille gauche a perdu immédiatement connaissance. Il n’y a certainement pas eu lutte entre les deux hommes ».
Les gendarmes et le docteur Vivier font transporter le blessé à la ferme de l’Ecluse, au domicile du maire de Pamfou, M. Alquinet. L’individu trouvé est dans le coma, il ne réagit à aucune sollicitation du docteur. Il décède vers dix heures trente du soir sans avoir pu prononcer un mot.
Dans la soirée, les gendarmes se rendent sur les lieux du crime, la pleine lune les éclaire un peu pour les premières constatations.

La fuite de l’auteur de l’assassinat
Revenons un peu en arrière : du bois de Villabé, l’homme part à toute vitesse avec son auto dans un grand nuage de fumée ; la voiture est très sale, maculée de boue, elle semble de couleur grise, sa capote est repliée. Elle ira jusqu’à Moissy-Cramayel. Là, une panne la stoppera définitivement. Le chauffeur fit des tentatives de remise en route, sans succès. Il fut obligé de finir son chemin à pied.
Après quelques pas, il remarqua un panneau indiquant, gare de Lieusaint à 2.5 km.
Il revint à son auto, se changea, puis d’un pas soutenu, il se rendit à la gare.
Arrivé devant l’établissement Clauss, une petite auberge, il fit une halte.
Une fois à l’intérieur, il demande au serveur le fils du patron, « comment faire pour se rendre à Villeneuve par un moyen rapide ? » Le garçon répondit, « Seul le train est le plus rapide, il en passe un qui remonte vers Paris à 2 h 32 du soir ». Après un petit instant d’hésitation, le chauffeur se laissa convaincre, il attendra là son train en prenant une légère collation composée d’œufs au plat et d’un verre de vin.
Pendant son repas, l’individu paraît soucieux, il se regarde régulièrement dans un petit miroir ; ses chaussures sont couvertes de boue. Une bonne dizaine de minutes avant l’arrivée du train, il quitte l’établissement et se rend en gare.
Je serais tenté de dire ici fin de l’histoire, l’enquête menée n’a pas permis de découvrir où s’est rendu l’individu et s’il a pris le train en gare. Mais l’enquête continue quand même…
L’auto abandonnée
Elle est stationnée devant le jardin de madame veuve Chaudora, Grande rue.
Le soir au moment de l’allumage de l’éclairage public, le garde champêtre M. Marois remarque cette auto stationnée ; il ne s’inquiète pas, son propriétaire l’a peut-être laissée sur place au motif d’une panne, il passera demain pour la reprendre.
Par sécurité pendant la nuit, il décida de garer la voiture chez les époux Laure. Le mari est jardinier, la propriété possède une grande cour.
Le lendemain les gendarmes mis au courant de l’abandon de ce véhicule le feront transférer à la gendarmerie de Moissy.
En fourrière, cette auto a été passée au « peigne fin » et elle livrera beaucoup de secrets concernant cette affaire…
Le 27 novembre vers 10 h 30 du soir le blessé décède.
Le 29 novembre son certificat de décès est établi, ville de Pamfou, acte N° 14 décès d’un inconnu de sexe masculin.
Dans la journée du 28 novembre, des informations capitales remontent par le biais de la Sûreté lyonnaise, dont une fiche de police d’un bandit nommé Jules Joseph Bonnot. Cette personne a un passé chargé, il a quatre condamnations inscrites à son casier judiciaire pour coups et blessures et rébellion à la gendarmerie.
L’autre élément est une déclaration enregistrée par M. Adler chef de la Sûreté à Lyon provenant de l’ami de la personne décédée ; elle ne sera rendue publique qu’en décembre 1938, de la publication d’un article enquête sur Bonnot dans le magazine « Détective » (tome 6, le testament de Bonnot, comment Bonnot assassinait). « Platano (la victime) était un ancien complice de Bonnot, il avait décidé de rompre après le voyage à Paris. Il était en possession d’un héritage d’environ 40.000 Francs. Le magot enfermé dans une enveloppe dissimulée entre son gilet et sa chemise. Cela créait un petit renflement, que Bonnot fixait assez souvent ».
Platano dit un jour à son ami, « S’il devait m’arriver malheur, je te demande un grand service de dénoncer ce bandit ».
Le soir même du drame, Bonnot louait une chambre au 44 rue Nollet à Paris sous le nom de Jules Contesse ; il y demeura jusqu’au 21 décembre, jour de l’attaque de la rue Ordener.
L’identification de l’un des deux personnages étant réalisée (Platano), il fallait maintenant essayer de trouver l’identité du second en présentant une fiche anthropométrique avec photo, à tous les témoins. « Porteur du bulletin de police criminelle N° 215 une photo de face, et de profil d’un nommé Jules Bonnot est insérée sous le N° 19427 ». Une dizaine de témoins est entendue.
Bonnot en son for intérieur pensait sûrement que son forfait passerait inaperçu dans cette campagne seine-et-marnaise et que seule « la faune terrestre locale » découvrirait sa victime, mais pas de chance…Seul le moment exact du crime reste et restera un grand mystère…

Pour tout le reste il y a des témoins qui sont avides de déclarations aux gendarmes.
Ceux-ci vont faire un remarquable travail en regroupant toutes ces dépositions.
Pour rendre le récit moins rébarbatif, j’ai gardé seulement trois témoignages qui me semblent suffire à la compréhension de cette histoire.
Vers 12 h 40, il a vu un homme aux chaussures couvertes de boue entrer dans son établissement et lui demander un moyen de transport rapide pour quitter les lieux. La réponse n’ayant pas été à la hauteur des espérances de Bonnot, celui-ci se ravisa, prit le temps de prendre une petite collation tout en montrant des signes d’inquiétude. Peu de temps avant l’arrivée du train pour Paris, il s’éclipsa…

Dans toutes les affaires criminelles on pratique une autopsie, qui devrait aider à la compréhension de l’affaire. Ayant vu le texte complet je me suis permis de faire une synthèse assez vulgarisée pour ne pas vous perdre chers lecteurs, celle-ci a été pratiquée à Pamfou le 28 novembre 1911 par le docteur Simeray, médecin légiste à Melun.
« Le cadavre est celui d’un homme paraissant âgé de 25 à 35 ans, taille 1 m 62, corpulence moyenne, bonne dentition. Du côté gauche du conduit auditif (à 4 cm) et sur une ligne allant du sommet du pavillon de l’oreille à l’angle externe de l’œil se trouve une petite plaie noirâtre arrondie, de 3 mm de diamètre. Cette plaie a été produite par un projectile qui, continuant sa route a fracturé le crâne et a pénétré dans le cerveau. La direction est légèrement de bas en haut, mais en amont de l’angle de la mâchoire, grande quantité de sang coagulé ; j’ai trouvé un second projectile aplati. »
Après l’autopsie, les deux balles extraites (l’une de calibre 6.35 et l’autre de calibre 7.65) ont été confiées à la police qui les a faites expertiser par deux armuriers de Melun le 13 décembre 1911. »
Le policier a fait un rapport qui porte le N° 4324 et dont la conclusion est :
« Il semble que Bonnot a tiré sur Platano un coup de revolver puis après l’avoir fouillé, il lui a volé son arme pour lui tirer dessus une seconde fois »
Le mobile, la victime et l’assassin sont connus maintenant dans cette affaire, il ne reste qu’un seul élément qui a participé à toutes les étapes de l’histoire…c’est un élément particulier.
C’est l’auto. A elle seule, elle tient toute l’affaire.
La première vie de l’auto
L’histoire commence dans la nuit du 17 au 18 janvier 1911, entre 4 h et 5 h du matin, des individus procèdent à la soustraction d’une automobile remisée dans un garage attenant à une habitation, 55 rue Victor Baugier, à Vienne (Isère). Après avoir fracturé la porte, les malfaiteurs avaient pu facilement sortir la machine. Celle-ci a été achetée en juin 1906 pour la somme de 14.000 francs, elle portait l’immatriculation 61 H H.



Cette auto est un double Phaéton (voiture hippomobile o u a u t o m o b i l e comportant deux banquettes se faisant face à l’avant). Le numéro du moteur est le 1231, le changement de vitesse porte le N° 1235, la carrosserie est de Grangier Bernard. Le numéro de châssis est 1221. Voiture de marque la Buire, à chaînes type 1200, de couleur vert olive foncé. Dans le garage de M. Merlin, l’auto était attachée avec une chaîne et un cadenas ; celui-ci a été limé et cassé. Les bandits pour rentrer ont forcé une petite porte donnant dans la remise ; un tirefond qui servait de pêne à la serrure a été arraché et la gâche faussée. C’est le propriétaire de la voiture, M. Jules Perrat qui donna l’alerte en voyant au petit matin, la porte entrouverte. L’auto avait disparu ainsi que des accessoires et des pneus de rechange. Cette auto fit le voyage jusqu’à Lyon où elle fut remisée dans un garage 23 bis route de Vienne. Elle servit de moyen de transport aux bandits pour leurs expéditions nocturnes.
Un jour, on décida de peindre un numéro d’immatriculation sur le réservoir à essence à l’arrière : « 701 S 2 » et l’on fit disparaître toutes les plaques pouvant être utiles à une identification quelconque. Dans le moteur on modifia aussi à l’aide d’un poinçon, le numéro de série. La voiture était prête pour un grand coup pensaient-ils. Mais patatras… Dans la nuit du 24 au 25 février 1911, 6 motocyclettes et 2 vélos sont volés de nuit par effraction dans le garage de M. Weber, représentant de cycles Terrot à Lyon. Le propriétaire des motos retrouva son butin fortuitement, la porte d’un atelier situé 23 bis route de Vienne était restée ouverte. Un jour, M. Weber en cheminant paisiblement reconnut ses motos. Il prévint aussitôt la police qui procéda à une perquisition le 12 octobre 1911. Un individu fut arrêté sur place, il se nommait Petit Demange. Ses explications étaient confuses face à la police. « …Toutes ces affaires doivent être à son associé un dénommé Jules Bonnot qui est actuellement absent. Mais il va certainement revenir…» Effectivement Bonnot revient, mais un voisin préparateur en pharmacie le prévient de la présence de la police.
Bonnot prend la fuite en parvenant à les semer. En son for intérieur, Bonnot pense qu’il est « grillé ». Avec son ami, il décide de monter à Paris. On le saura plus tard, pour le plus grand malheur de l’ami. Bonnot n’aimait pas qu’on lui raconte cette histoire. Une fois, il fit des confidences à son ami Bellonie lyonnais comme lui, « Tu comprends Bellonie, Platano jouait souvent avec son révolver et puis un jour malchance le coup est parti tout seul !
Je ne pouvais pas laisser mon ami souffrir. Je l’ai aidé en tirant une deuxième fois. Ça a été salvateur pour lui ! » …
En guise de conclusion, disons que Jules Bonnot défraiera la chronique encore plusieurs mois durant, jusqu’à sa mort le 28 avril 1912. Mais ceci est une autre histoire…
À ma maman
Michel Bono