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Modifiée le 15 janvier 2017

Une histoire de verre de lait

Où, quand et pourquoi, fut-il décidé un jour de distribuer un verre de lait à tous les enfants des écoles primaires de France.

Vous en souvenez-vous ?

« Je me souviens du 8 décembre 1954. Ce fut une journée pas comme les autres.

J’étais scolarisé au cours moyen, à l’école des garç:ons du Châtelet-en-Brie.

En 1954, il y avait encore l’école des filles, séparée de l’école des garç:ons et l’école maternelle.

Elles étaient toutes situées autour de l’église.

Ce 8 décembre, tout le monde était sur le pied de guerre et pour cause, de nombreux officiels, députés, représentants du ministère ou de la préfecture, mais aussi des journalistes, allaient se rendre dans notre village pour une cérémonie peu ordinaire.

En effet, un verre de lait allait être servi dans toutes les classes de l’école primaire ».

Mais pourquoi ?

Pierre Mendès France, venait d’être élu président du Conseil au mois de juin 1954. Il était inquiet et consterné des effets de la malnutrition et de la consommation d’alcool précoce des Franç:ais en général et des enfants en particulier. Il décida de s’adresser à eux, lors d’une de ses interventions radiophoniques, « les causeries du samedi », comme il avait pris l’habitude de le faire.

Le 18 septembre 1954, il parla à « ses p’tits amis », pour leur dire que tous les enfants des écoles de France, recevraient quotidiennement, gratuitement, un verre de lait et du sucre.

Son slogan était le suivant : « pour être studieux, solides, forts et vigoureux, buvez du lait ».

Le décret n° 54. 981 du 1er octobre 1954 stipulait que « des fonds disponibles du compte spécial pourront être utilisés, sous forme de subventions versées, pour l’amélioration de l’hygiène alimentaire et plus particulièrement pour l’achat et la distribution à une certaine catégorie d’enfants, de lait et de sucre …

Le ministre des finances, le ministre des affaires économiques et du plan, le ministre de l’intérieur, le ministre de l’éducation nationale et le ministre de l’agriculture sont chargés de l’exécution du présent décret ».

Cela montrait tout l’intérêt que le président du Conseil portait à ce projet.

Ces encouragements, et ces initiatives vaudront au chef du gouvernement hostilité et sarcasmes à l’Assemblée et le surnom méprisant de « Mendès-lolo ».

Mais cela ne le découragea pas pour autant et cette disposition fut mise en place et poursuivie durant plusieurs années.

C’est ainsi, qu’à une question posée par un député, le 15 juin 1961, au ministre de l’éducation nationale sur le bilan de cette action, il lui fut répondu que depuis la mise en application de ce décret, plus de 12 millions d’enfants avaient bénéficié de cette distribution de lait.

Mais le nombre de prétendants à cette boisson lactée diminua sensiblement au fil des années, ainsi que la dotation financière qui passa de 11 à 5 NF.

Mais revenons au Châtelet-en-Brie et à ce « mémorable » 8 décembre 1954 où des personnalités nationales et départementales se transportèrent pour cette cérémonie toute symbolique.

En effet, les écoliers du Châtelet allaient inaugurer cette campagne. Ils seront les premiers enfants de France à savourer ce verre de lait promis par le gouvernement.

 

Janine Marty distribue le fameux verre de lait aux enfants (Collection SHCB)

Janine Marty distribue le fameux verre de lait aux enfants
(Collection SHCB)

M. Mattéo-Connet, chef de cabinet du ministre de l’éducation nationale ; M. Vidal, préfet de Seine-et-Marne et son chef de cabinet, M. Palazzi ; M. Fuster, inspecteur général ; M. Bonnet, inspecteur primaire de la circonscription ; M. Ménard, directeur des services de police ; M. Marois, commandant la section de gendarmerie de Melun qui assurait le service d’ordre ; ainsi que le directeur de l’hygiène scolaire, furent reç:us par M. Pierre Brun, maire du Châtelet-en-Brie et président du Conseil général de Seine-et-Marne.

Le Conseil municipal au grand complet était aussi de la partie.

A 16 heures, à l’heure du goûter, il fut servi, d’abord à l’école de garç:ons, puis à l’école des filles, des fruits frais et des gâteaux, accompagnés du désormais célèbre « verre de lait », dans des bols tout neufs.

La figure tutélaire de Mendès France a plané tout l’après-midi sur notre village.

La presse se « déchaîna » :

En France…

Comme nous allons le voir, toute la presse nationale et locale fut conviée sur place pour relater l’évènement.

C’est ainsi que le Figaro dépêcha un jeune envoyé spécial de 25 ans et à la plume déjà bien acérée, un certain Philippe Bouvard.

France Soir, Paris-Presse l’Intransigeant, Le Franc-Tireur, L’Aurore, La Croix de Seine-et-Marne, La Liberté, La République de Seine-et-Marne, L’Union républicaine de la Marne et Le Courrier, furent aussi de la partie. C’est dire !

De nombreux photographes fixèrent sur la pellicule et pour la postérité cette sympathique manifestation.

Le Figaro - 9 décembre 1954

Le Figaro
9 décembre 1954

Franc-Tireur

Franc-Tireur

La Croix de Seine-et-Marne

La Croix de Seine-et-Marne

La Liberté
lunid 12 décembre 1954

La République de Seine-et-Marne - mardi 14 décembre 1954

La République de Seine-et-Marne
mardi 14 décembre 1954

L'Aurore - jeudi 9 décembre 1954

L’Aurore
jeudi 9 décembre 1954

Le Courrier - jeudi 16 décembre 1954

Le Courrier
jeudi 16 décembre 1954

Paris-presse, l'intransigeant - vendredi 10 décembre 1954

Paris-presse, l’intransigeant
vendredi 10 décembre 1954

…Mais aussi outre-Atlantique

Cet évènement dépassa nos frontières et l’onde de choc se fit même sentir jusqu’aux Etats-Unis où l’hebdomadaire « Newsweek » du 20 décembre 1954 s’en fit l’écho et de manière quelque peu polémique.

En effet, dans un article intitulé : « Cognac au petit déjeuner » ce journal faisait mention du Châtelet-en-Brie. Il y expliquait à ses lecteurs qu’une expérience était tentée sur les écoliers de ce village au titre de la lutte entreprise contre l’alcoolisme en France.

« Il y serait maintenant, disait-il, servi du lait aux enfants avec le déjeuner de cantine scolaire au lieu du vin habituel ».

Un journaliste New yorkais, Léon Beliansky, écrivit au maire, monsieur Pierre Brun, pour lui demander quelle était la boisson servie à la cantine scolaire.

Ce à quoi ce dernier répondit en substance :« …afin de rassurer vos lecteurs du Newsweek, sachez que nos écoliers ont reç:u à leur goûter du bon lait chaud, des biscuits levurés et des fruits frais…nous n’avons plus de cantine depuis 1946…pendant la guerre, et au cours des années de grande carence alimentaire, une cantine a fonctionné journellement pour les enfants et pour les vieillards sous-alimentés. Une seule boisson y était servie : de l’eau, de la bonne eau du Châtelet-en-Brie, réputée pour sa fraîcheur et sa pureté… ».

Si cette initiative ne fit pas le bonheur de tous les enfants, car certains d’entre eux avait une véritable aversion pour le lait, elle fit au moins quelques heureux, les producteurs de lait.

On laisse même entendre, qu’un propriétaire-exploitant agricole des environs de Poitiers, secrétaire d’état à l’agriculture sous le gouvernement Mendès France, aurait été l’instigateur de ce programme, afin de doper les ventes de lait, alors en surproduction. Il avait nom JR.

En guise de conclusion, notons qu’après les discours de différentes personnalités vantant les bienfaits du lait, monsieur le maire du Châtelet, avec une pointe d’humour, conclut par ces mots : « Maintenant, monsieur le préfet, messieurs, si vous le voulez bien…il y a le vin d’honneur… ».

Chassez le naturel il revient au galop !

Mais l’histoire nous dit aussi que la plupart des officiels préférèrent, le verre de lait à la traditionnelle coupe de champagne.

C’est grâce à la gentille collaboration de M. Richard Brun, ancien maire du Châtelet, qui nous a fait don de documents concernant cette journée que nous avons pu faire revivre cet évènement. Qu’il en soit remercié.