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Modifiée le 15 janvier 2017

Mort d’un pauvre mendiant

au Châtelet-en-Brie en 1735

 

Repas de paysans Louis Le Nain 1642 (Musée du Louvre)

Repas de paysans Louis Le Nain 1642
(Musée du Louvre).

En ce XVIIIe siècle, la peur de la société devant le nombre grandissant des mendiants qui s’amassent dans les villes et sillonnent les chemins était bien réelle.

La définition du vagabondage et les sanctions qui menaçaient ceux qui la pratiquaient nous le confirment :

  • Est vagabond, celui : « qui erre çà et là qui n’a point de route, de demeure certaine… »
  • L’ordonnance « veut que les Prevosts se saisissent des faineants ; vagabonds…qui n’ont ni feu, ni lieu, et qu’ils les envoyent aux galeres ».

Ainsi les villageois étaient-ils régulièrement confrontés aux mendiants et aux vagabonds passant par leur village.

Cependant cela ne signifiait nullement qu’ils soient systématiquement pourchassés, car les habitants des campagnes savaient reconnaître les pauvres malheureux qui méritaient asile et charité.
Les registres paroissiaux du Châtelet-en-Brie mentionnent des cas de décès de « pauvres mandiants ou mandiantes dont on ne sait ni le nom ni l’âge ni le Païs ».

Il s’agissait souvent de personnes venues se louer dans les fermes et décédées dans les champs ou habitats de leur employeur.

Certains purent être identifiés grâce à des « passports » retrouvés sur eux.

Ce fut le cas au Châtelet, où un inconnu, recueilli par Louis Albert Bourguignon laboureur est mort « du Mal caduc », portait sur lui des papiers mentionnant son nom et le lieu d’où il venait.

D’autres encore trouvaient la mort tenant en leurs mains des livres de prières, des chapelets ou une petite boîte à l’effigie d’une sainte etc. En fait, tout objet de dévotion prouvant leur
« catolicité » et leur laissant espérer que le curé ferait dire des prières pour le salut de leur âme.

Cependant, au-delà du vagabondage, chaque village comptait parmi les siens des mendiants faisant partie intégrante de la communauté. Ils étaient souvent secourus par le curé ou par les paysans ; reçus et nourris par des âmes bienveillantes.

 

Pourquoi mendiaient-ils au sein de leur propre village ?

Aujourd’hui il est difficile de donner une réponse.

En effet, les aléas de la vie : famine, épidémies, maladies…pouvaient faire basculer un individu du statut de « pauvre » à celui de « mendiant ».

Soit qu’il n’ait plus suffisamment de travail pour subvenir à ses besoins, soit qu’il soit tombé malade ou devenu trop âgé pour travailler et n’ayant plus que la ressource de vivre en partie de la charité d’autrui.

Etait-ce le cas pour Estienne Dory, mendiant au Châtelet-en-Brie ?

Avait-il toujours vécu d’aumônes ou avait-il glissé vers la mendicité suite à un accident de la
vie ?

Nous ne le savons pas.

Toujours est-il qu’il naquit et fut dûment baptisé au Châtelet-en-Brie le 21 juin 1672.

C’est dans notre village qu’il vécut sans domicile fixe, mais reconnu et sans doute apprécié par la population châtelaine. Sa mort subite survenue le 1er septembre 1735 ne laissa point indifférente la justice qui, soupçonnant un crime ou de mauvais traitements, ouvrit une enquête.

 

Enquête que nous allons relater ici.

La veille du décès, entre six et Sept heures de relevée Antoine Simon Saulnier cordonnier de son état, occupé à travailler dans sa boutique, entendit « qu’on chantoit » chez son voisin, Nicolas Louis Devien, serrurier.

Il reconnut la voix d’Estienne Dory et se souvint soudainement que ce dernier lui devait 25 Solz depuis huit ans.

Profitant de l’occasion, il se précipita chez son voisin pour réclamer son dû. Estienne Dory lui rappela que le montant de la dette ne s’élevait qu’à 17 solz et qu’il acceptait de la rembourser. Mais en échange, il demanda à Antoine Saulnier d’aller quérir chez Pierre Lhermitte, cabaretier, une « chopine de vin ».

Notre cordonnier accepta l’offre et les trois compères la vidèrent et en commandèrent une seconde. Puis Nicolas Devien laissa ses deux amis converser à leur guise pour aller « piler des plastres » au fond de son jardin.

Peu de temps après, notre mendiant « pris de vin Tomba d’yvresse dans la Boutique ». C’est alors que Jeanne Lecocq, femme de Nicolas Devien, revenant des champs avec « sa Beste azine » découvrit Estienne Dory gênant le passage, d’autant que les vaches qui n’allaient pas tarder à rentrer empruntaient aussi ce passage pour regagner leur étable. Estienne Dory fut donc poussé vers un soufflet, installé dans la boutique.

Nicolas Devien rentrant chez lui, constata que ce dernier « dormoit et ronfloit ». Sans se préoccuper de la situation, il alla tranquillement se coucher.

Ce n’est que le lendemain matin « au Soleil levant » que Nicolas Devien découvrit le mendiant mort, « Ne faisant aucun mouvement et ayant tous les bras et les jambes raides ».

Un décès, selon Nicolas Devien probablement lié à la trop grande quantité de vin absorbée, d’autant plus qu’Estienne Dory avait « Vomy et rejetté dans ladite place ».

Toujours est-il que Nicolas Devien, craignant d’être accusé de crime, se précipita pour avertir les autorités judiciaires. Grand bien lui en prit car la justice, très suspicieuse, décida de mener une enquête auprès des témoins et exigea que le « Cadavre soit Veu et Visitté » par un chirurgien, afin de révéler d’éventuels signes de maltraitance, et que le cas échéant, « le crime ne demeure point impuni ».

Le 1er septembre, quatre témoins furent entendus. Tous confirmèrent qu’à aucun moment Estienne Dory ne fit l’objet d’une quelconque maltraitance.

Marie-Anne Morin, femme de Pierre Lhermitte cabaretier, insista sur le fait que la veille Estienne Dory, avant même de se rendre chez Nicolas Devien, entra dans son cabaret, déjà « gris et plein de vin », et réclama une Chopine, « l’ayant Bû » il en redemanda.

Estimant « qu’il n’en avoit pas Besoin », Marie- Anne Morin refusa catégoriquement.

Suite à ces interrogatoires, le chirurgien juré François Bourgeois et le médecin du Roy Jacques Guiart procédèrent à l’« ouverture d’un cadavre humain….âgé de soixante quatre ans ou
environ ».

Ayant constaté lors de l’examen, des « poulmons…fletris…prests à tomber en pourriture… la Ratte…ayant faits des Ligatures aux pilores …l’oreillette gauche du Cœur Remplie d’un polipe…Remplissant toute la veine du poulmon », les deux hommes de sciences affirmèrent sans douter un seul instant que la mort de ce pauvre mendiant ne pouvait qu’être naturelle et subite.

 

(Archives Départementales de Seine-et-Marne Cote : B94)

(Archives Départementales de Seine-et-Marne Cote : B94)

Les registres paroissiaux de notre commune nous indiquent que ce pauvre mendiant fut inhumé dans le cimetière du Châtelet le 2 septembre 1735 par le curé Cottin.

Lors de cet office religieux le curé était accompagné de Pierre Pillault, Chantre et de Pierre Chenu, fossoyeur.

« L’an de grace mil sept cent trente cinq le deuxième jour du mois de septembre a été inhumé au cimetière de cette paroisse Estienne Dory Mendiant decede en ce lieu chez Louis Devien Serrurier…le premier septembre
L’inhumation est en présence de Pierre Pillault chantre et de Pierre Chenu fossoyeur ».

 

Bibliographie :
Gewa Thoquet,
« La vie des villageois au XVIIIe siècle d’après les écrits de l’époque,
Editions Les chemins du passé. »